Danielle Dénouette, la femme-arbre
Leitmotiv prégnant dans l’œuvre de Danielle Dénouette,
les arbres, dont les silhouettes, dessinées à l’encre de Chine, se découpaient,
au loin, sur des paysages dépeuplés balayés par la bise, sont devenus prépondérants
dans ses dernières séries. Dans ses gravures, des arbres s’enlacent,
s’embrassent, s’embrasent, perdent leur or à l’orée de l’hiver, créent des
trouées s’ouvrant à d’autres possibles. Des arbres en apesanteur dont le seul
ancrage est l’encre sombre qui leur donne forme, flottent, dénudés, dans
l’heure bleue de l’imaginaire, arbres solitaires, branches et racines inondées
de lumière, double réseau tentaculaire, pieuvres de vie, réunies par le tronc
solide d’une créativité pérenne, sereine, épanouie. Ces arbres nus d’une sagesse mélancolique sont
habités, dans certaines œuvres, par des esprits de la nature. Apparus d’abord
comme une ombre sur des frottages végétaux, ils se sont multipliés dans les
gravures. Plus récemment, une silhouette féminine, insistante,
telle la signature de l’artiste elle-même, est venue s’incruster, se greffer
dans celle de l’arbre, l’esprit féminin créateur ne faisant plus qu’un avec le
tronc, les branchages, les nervures de l’arbre, comme si dans les dendrites du
cerveau et les veines du corps circulait sa sève. La gravure permet une exploration plus fluide de ces
imperceptibles transformations, de ce devenir végétal de l’être, qui en
mûrissant se rapproche doucement, paisiblement, de cette immobilité où frémit
la vie. Renaissant chaque printemps, approchant l’éternité dans sa solitude
démultipliée, en réémergeant de la terre, presque immortel, sous la forme d’un
surgeon, l’arbre dépasse les limites entre le dedans et le dehors, le caché et
le visible, la vie et la mort. L’artiste est devenue arbre dans son intimité-même,
aboutissement de sa traversée de l’univers végétal. Sensible, depuis l’enfance,
à la présence consolante des fleurs, elle en parsème ses œuvres, jusqu’à faire
surgir des femmes-fleurs dans des collages luxuriants. Parallèlement, elle
observe les arbres. Leur nudité hivernale surtout, celle qui permet aux
arborescences de se détacher sur le ciel en lignes épurées, la fascine. De sa contemplation sont nés des dessins en
miniature ou d’immenses kakemonos représentant des arbres, avant qu’elle ne
commence à explorer leur vie sous-terraine, branches et racines se répondant en
miroir dans un cercle invisible. A force d’observer la part visible et la part secrète
de l’arbre, elle s’y est projetée, s’intégrant à l’objet de sa quête. Des feuilles cousues patiemment, dans un acte de
réparation aux accents japonais - le fil rouge de la vie pénétrant les feuilles
mortes se rapprochant de la poussière d’or utilisée pour recoller en la
magnifiant la vaisselle précieuse brisée – présentées lors de son exposition «
l’herbier guérisseur », l’artiste est passée « de l’autre côté du
miroir », pénétrant l’écorce, devenant tronc, ses veines se glissant dans
celles des feuilles pour atteindre l’énergie vitale de l’arbre et s’y fondre,
se dissoudre dans sa vibration, les contours humains s’effaçant pour se fondre
dans les branchages, ses organes fusionnant avec la chair de l’arbre. Dans les gravures, visages, feuilles et coquillages -
au creux desquels on écoute le chant du silence pour entrer à l’intérieur de
soi-même, comme l’escargot dans sa spirale - se répondent, en eux s’opère une
transmutation, qui les conduit à s’immerger dans le cercle et éclater dans la
lumière, à repousser les limites pour accueillir l’Esprit. La feuille devient cœur qui se ramifie comme un monde
autonome à l’intérieur du corps, s’ouvrant à sa possibilité végétale. Le cœur
de la femme est irrigué par la sève qui s’éveille. Branchages et alvéoles des
poumons se répondent, dans des correspondances physiques et mystiques. L’âme du saule pleureur s’est incarnée. La femme
s’enracine, tandis que l’arbre esquisse une danse déracinée. L’arbre, ce médiateur spirituel qui enseigne chamanes
et profanes, ce maître de silence, qui s’étire entre le ciel et les profondeurs
de la terre, s’est glissé dans l’âme de l’artiste, qui ne sait plus si elle est
la femme observant l’arbre ou l’arbre sondant la femme, ou les deux à la fois,
touchant du pinceau le Grand Tout. Dans quels méandres va-t-elle nous entraîner dans sa
prochaine étape créatrice ? Dans quel nouveau cercle va-t-on
pénétrer ? Dans ce parcours d’une grande cohérence, où une douce
obsession végétale frôle l’esprit du bouddhisme en poursuivant sa propre voie
d’éveil, Danielle Dénouette prépare sa mue pour devenir femme-arbre, le temps
d’un tableau toujours recommencé. Anguéliki Garidis, avril 2021 Liens : "Cueillir la racine des nuages" " l’herbier guérisseur "
Danielle Dénouette : Gravure et collage végétal 50x65 cm Danielle Dénouette : Gravure et collage végétal 50x70 cm Unir tous les souffles Danielle Dénouette : Gravure sur papier, pigments bleu de Prusse et encre blanche 75x115 cm Danielle Dénouette : Gravure 50x65 cm Série Nos cœurs en hiver refleuriront au printemps
Danielle Dénouette : Gravure sur toile Danielle Dénouette : Gravure sur toile Danielle Dénouette : Tryptique 40x115 cm (x3) Gravure sur toile [ artmag | rencontre ] |