A.G : N'y a-t-il pas plutôt quelque chose de ludique dans ce désir de participer à l'oeuvre? E.G : Cela peut paraître ludique, mais en même temps les gens peuvent être très sérieux, et les situations deviennent spontanément presque rituelles.
A.G : Mais on peut être très sérieux en jouant. J'ai l'impression que l'on revient dans ce côté magique de l'enfance, où le jeu est aussi rituel. E.G : Oui, c'est magique quand nous sommes là, complètement présents. Il y a aussi ce côté de l'être humain qui a besoin de s'affirmer en détruisant. A travers ce côté qui semble ludique, léger, il y a souvent aussi un côté cruel et subversif.
A.G : Après 1991, qu'est-ce que tu as fait? E.G : Après 1991, la guerre a commencé en Yougoslavie, et pendant quatre ans, je n'ai pas exposé. J'ai vu la vie autrement, exposer me semblait sans signification. La présence de la guerre dans le temps réel, le rôle des média, mon propre rôle...
Cette situation a contribué à ma détermination
à travailler sur des projets qui rapprochent les gens.
Ainsi, en 1995, j'ai réalisé le projet "Porte
Accatone" à l'occasion de la sortie d'un livre d'un
ami, Jean-Marie Roux, sur Jimy Hendrix. J'ai invité une
centaine de personnes, principalement des artistes, à
participer en utilisant le téléphone, le téléfax
et le courrier. 83 personnes ont répondu, de 39 villes.
Ils réalisaient les projets localement (dans le temps
réel), et ils racontaient quelle était leur situation.
Chaque participant était "l'objet" et le "sujet",
alternant entre "l'être" et le faire, accomplissant
le rôle d'un" organisateur local" aussi bien
que celui de créateur dans le cadre du réseau-événement
global.
A.G : C'est un peu du Mail Art? E.D : Oui, j'ai invité les artistes par courrier. Toute ma vie, depuis ma petite enfance, j'ai écrit énormément de lettres. La relation à distance était toujours très présente. Et peut-être peut-on voir ici la source de tout ce que je fais actuellement.
A.G : Quand et comment as-tu commencé tes projets d'événements Internet? E.D : En 1995, j'ai réalisé le projet "Curriculum Vitae", qui est un événement interactif résultant d'actions-modules qui se produisaient simultanément à Paris-Budapest- Skopje et Venise reliées par fax et Internet. Ensuite, en 1997, j'ai organisé l'événement "Gambit d'Eurynomé / Chaos dans l'action", avec Wolfgang Ziemer. Ce projet a réuni des équipes d'artistes dans une dizaine de villes européennes, qui étaient interconnectées par un espace virtuel sur internet. Consultez le site : http://www.koeln.heimat.de
A.G : Pourrais-tu expliquer la signification du nom de l'événement? E.D : Eurynomé
appartient à la création de l'univers dans la mythologie
grecque. Au début, il n'y a que le Chaos. Elle sort nue
du Chaos et elle est à l'origine de tout ce qui existe.
Le Chaos, donc, comme possibilité pour l'ordre suprême.
Eurynomé symbolise la création. Dans l'événement Internet Gambit d'Eurynomé, on entretient la relation avec les autres participants, et chacun est confronté à soi-même aussi. 200 artistes ont participé dans les dix villes européennes, chacun pouvait donner une proposition individuelle, et devait aussi écouter les autres. L'intérêt, c'est la relation. Il faut comprendre l'autre, pour donner un résultat qui dépasse chaque position individuelle.
A.G : Quelle est ta conclusion de cette expérience? E.D : Nous sommes ensemble
pour faire quelque chose que nous ne pouvons pas faire seul.
Il faut écouter l'autre pour établir une relation
créative. Il faut comprendre parfaitement la démarche
de l'autre pour pouvoir y contribuer d'une manière qui
va nous surprendre. C'est une forme qui utilise la relation comme
outil pour la création. Ce projet présente aussi
la possibilité d'utiliser la technologie d'une manière
nouvelle. A.G : Pourrais-tu évoquer, pour conclure, ce qui serait ta conception de l'art de la communication? E.D : L'art de la communication
, ce sont des oeuvres basées sur l'interactivité.
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