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Maria Klonaris et Katerina Thomadaki, cinéastes et artistes multimédia réputées, ont organisé du 22 au 28 avril 1998 - sous le sigle de l'association A.S.T.A.R.T.I. Pour l'art audiovisuel, association qu'elles ont elles-mêmes créée - , les 3e rencontres Art Cinéma/Vidéo/Ordinateur. Ces Rencontres, depuis les premières de 1990, ont l'originalité de présenter parallèlement des films dits expérimentaux, de la vidéo, des travaux d'infographie et des installations, ainsi que des tables rondes sur différents sujets. Derrière leur titre, "Pour une écologie des média", qui invite à la réflexion, se profilaient plusieurs thèmes autour desquels étaient regroupées les nombreuses oeuvres et les tables rondes, comme "la nature revisitée", "Dance et musique", "Lumière en mouvement. Peinture numérique", "Miroirs du sujet. Femmes et autoreprésentation", "Gender trouble" etc. La grande variété de ces sujets, allant de la musique et des oeuvres visuelles les plus abstraites, à la perception du corps sous toutes ses facettes, offrait tant au public qu'aux artistes et intervenants venus du monde entier, une occasion rare d'échanges stimulants et de découvertes. Deux sélections de ces Rencontres vont être présentées, à Athènes et à Londres, en automne, dans le cadre d'une collaboration européennne. A
Athènes le 24 et 25 septembre 1998 au Fournos, Mavromihali
168, 11 472 Athènes, Grèce. Anguéliki GARIDIS |
A. G. : Vous ne pratiquez pas la nouveauté à tout prix et présentez dans ces mêmes rencontres des documents historiques et des oeuvres très récentes, par exemple Loïe Fuller à côté de clips vidéo de John Maybury, ou le Thereminvox, instrument de musique créé au début du siècle, ou encore des machines optiques de projections lumineuses et des travaux contemporains d'infographie. Quel est votre souci dans cette approche très éclectique, et qu'entendez-vous par "pour une écologie des media", titre de ces 3èmes Rencontres. |
Nous croyons que l'ancien et le nouveau sont indissociables, qu'on ne peut pas approcher le nouveau sans connaître l'ancien et qu'il y a aussi du nouveau dans l'ancien. Tu as cité l'exemple de Loïe Fuller, danseuse et chorégraphe de la fin du 19e siècle, une figure extraordinairement actuelle. Toute sa recherche de pionnière autour de la lumière, du mouvement, de l'abstractisation du corps, de la virtualisation même du corps par le travail sur le voile et la lumière, ce sont des approches extrèmement contemporaines. D'ailleurs ses recherches intéressent des danseurs contemporains, comme Brygida Ochaim dont nous avons également présenté une reconstitution libre de la danse de Loie Fuller. Ce qui nous intéresse, c'est de découvrir des précurseurs à un travail contemporain. Voir comment un travail contemporain prolonge dans le présent quelque chose qui est déjà apparu bien avant, autrement dit comment le passé peut dynamiser le présent et vice versa. Bref, nous croyons qu'on ne peut pas composer sans les deux, ou même les trois temps - le passé, le présent, et le futur-, et le projet des rencontres a affaire avec cette conscience là. | Brygida Ochaim (Allemagne) "Loïe Fuller - Danse des couleurs" Vidéo, 1990 Photo: Christian Ganet |
Notre programmation est effectivement très ouverte, mais en même temps, très pensée, très construite. Les juxtapositions que nous faisons ne sont jamais faites au hasard, il y a toujours un lien que nous avons déjà découvert et que nous voulons révéler au spectateur en juxtaposant deux programmes, ou même des uvres réalisées à des périodes très différentes à l'intérieur d'un même programme. Pour ces troisièmes Rencontres, nous avons voulu accentuer davantage le côté historique, un parti pris que nous avions introduit depuis les premières Rencontres, parce que, plus les produits d'une technicité aveugle prennent le dessus, plus nous sentons le besoin de refaire apparaître, refaire émerger un passé proche ou plus lointain qui est extrêmement riche et chargé d'imaginaire, de visions fortes. Par exemple les machines lumineuses, ces appareils d'une inouie imagination mécanique auxquels nous avons consacré plusieurs séances cette année - de Baranoff-Rossiné à Charles Dockum ou à Bulat Galeyev de l'Institut Prometei de Kazan - ces machines produisent des événements lumineux, des projections de formes colorées abstraites en mouvement, où l'on retrouve à la fois un intense sens poétique et une jouissance visuelle, des dimensions très souvent perdues dans les oeuvres contemporaines que la plupart des institutions privilégient actuellement. C'est pourquoi nous croyons nécessaires ces traversées constantes de temps, d'espaces et de langages. Derrière ces traversées qui composent les Rencontres, il y a des sensibilités croisées, des démarches d'une grande diversité, mais qui sont toujours réunies autour de certains critères que nous adoptons, et ces critères donnent une unité dans la diversité, sans effacer les différences. | Bulat Galeyev (Russie) "Crystal" instrument de musique lumineux |
L'écologie des media a affaire avec cela, c'est une idée que nous avons déjà lancée en 1990, avec les premières Rencontres, cette idée qu'il ne faudrait pas qu'il existe une approche hiérarchique des technologies, cette approche hiérarchique qui est d'ailleurs déjà bien installée, et dont souffre beaucoup le secteur de l'art, puisque cela implique des choix de techniques imposés aux artistes et que du coup, il y a des démarches qui disparaissent, des artistes qui n'arrivent plus à retrouver une dimension créative qu'ils ou elles avaient trouvée à travers un medium qui devient soudain obsolète. C'est quand même un problème qui affecte la création, cette façon d'imposer des techniques non seulement par des prérogatives industrielles, commerciales, mais aussi par des politiques culturelles. Et quand nous parlons d'écologie des media, d'écologie des espèces technologiques, c'est justement notre proposition de laisser vivre toutes ces techniques, de ne pas poser de telles contraintes que certaines soient vouées à la disparition, surtout lorsqu'elles sont tellement vitales pour la création. Là nous pourrions citer l'exemple du Super 8, des media légers et des techniques plus artisanales, trop souvent écrasés par la haute technologie. | Paul Virilio (France), Arthur Kroker (Canada) Photo V. Boutroux /A.S.T.A.R.T.I |