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A. G. : Avec les premières Rencontres à la Vidéothèque de Paris, déjà en 1990, vous avez lancé l'idée de la transversalité des media, une idée de plus en plus répandue aujourd'hui. Qu'est-ce qui vous a conduit à défendre cette position, à un moment où les media étaient très cloisonnés, en particulier en France? Et quelle était la réaction du public?

- Cela est venu de notre pratique artistique, du fait que nous-mêmes, après nous être fortement engagées dans le cinéma expérimental pendant plus de dix ans, nous avons été conduites, par nos environnements de projection et nos installations, à croiser les media et les secteurs artistiques.

En 1985, déjà, nous avons créé A.S.T.A.R.T.I. dans une perspective pluridisciplinaire : à l'époque nous nous étions fixé comme but de défendre la création des femmes dans toutes les formes d'art technologique. Le projet des premières Rencontres était conçu en 1987 et a eu lieu en début 1990. Il est vrai que c'était une absolue nouveauté de mettre ensemble tous les media que nous avons réunis à l'époque, c'est-à-dire tous les media de l'image animée et les secteurs artistiques que chacun implique : cinéma expérimental, art vidéo, art numérique. Les Rencontres ont déjà une option de base : nous défendons l'image en mouvement non narrative et l'art de l'écran, l'art écranique - un secteur qui reste malgré tout relativement méconnu dans l'ensemble de l'art contemporain, alors que c'est un secteur primordial. C'est l'image en mouvement qui a intégré la dimension du temps dans l'art du XXe siècle, et c'est quand même considérable comme innovation et assimilation de tout un contexte philosophique du siècle. Mais malgré tout, comme l'art de l'image en mouvement résiste aux structures dominantes du marché de l'art, il s'est trouvé dès le départ marginalisé et nous pensons qu'à un certain degré il continue à l'être, même si, avec le temps, il devient de plus en plus connu. Par rapport aux arts plastiques basés sur l'objet ou sur l'image fixe, il est clair qu'il y a une grande différence dans le degré de visibilité de cet art. Nous sommes intéressées par tout ce qui est moins visible tout en étant tellement important. Il faut se poser des questions, pourquoi n'arrive-t-on pas à passer à travers ce blocage qui concerne l'image en mouvement? C'est dû à beaucoup de facteurs. C'est dû au fait que, vu l'ampleur qu'a pris l'industrie cinématographique dès le début du siècle, on a pris l'habitude de confondre l'image en mouvement avec le cinéma narratif, la fiction, le récit d'une histoire. Mais le cinéma abstrait, le cinéma dit expérimental, l'art vidéo par la suite, ont en premier lieu dissocié l'image animée des codes de la narration. Et nous, nous sommes intéressées justement par cette démarche là, lorsque l'image en mouvement devient un événement signifiant en soi, lorsqu' elle acquiert une dimension plastique, et qu' elle implique un travail sur le medium même, une prise de conscience du potentiel transformateur d'un medium. C'est pour cela que nous avons choisi de tourner les projecteurs vers ce secteur, et de lui consacrer cette manifestation. Pour revenir à ta question, il faut dire qu'en 1990, quand nous avons lancé la manifestation, le public, les professionnels inclus, était extrêmement étonné de voir soudain coexister l'art vidéo, le cinéma expérimental, les nouvelles technologies, qui dans le contexte des années 70 aux années 80, étaient des champs non seulement complètement cloisonnés mais aussi conflictuels et renfermés chacun sur soi-même. En plus avec une perspective historique, une transversalité aussi dans le temps. Historiquement, c'est la première manifestation qui a opéré cette synthèse. C'est vrai que ça a été quelque chose d'assez révolutionaire et que cela a eu beaucoup d'impact, cette intuition que finalement l'image en mouvement, l'art écranique, est un champ artistique en soi, indépendamment des technologies utilisées. D'ailleurs le journal Libération avait titré la page consacrée aux premières Rencontres "Révolution"! Je pense que depuis, l'idée a fait son chemin. Jusque là, en France, il y avait d'un côté des festivals vidéo, de l'autre des festivals de cinéma expérimental (en voie de disparition à l'époque) et, enfin, des manifestations de nouvelles technologies. Dans un musée, comme le Centre Pompidou, il y avait (il y a toujours d'ailleurs) une section cinéma expérimental et à côté une section vidéo, sans aucune communication entre les deux. Pour les festivals c'était la même chose. Actuellement, tous les festivals vidéo (Clermont-Ferrand, Hérouville Saint-Clair, Bandits-Mages, etc.) ont intégré le cinéma expérimental dans leur programmation et la formule à media multiples se généralise. C'est très intéressant de voir cette idée gagner graduellement du terrain. Ceci dit, il y a encore beaucoup de chemin à faire pour arriver à une "écologie des media"...

 
Robert Darroll (Allemagne)
Memb, 1990-92
film 35 mm / ordinateur

 

 

 

 

 

 


Pat O'Neill (USA)
Trouble in the image, 1995
Film à la tireuse optique

 A. G. : Une autre originalité de ces Rencontres, c' est le goût de la découverte. Votre programme, chaque fois assez vaste, est largement composé d'oeuvres inédites à Paris. C'est un réel défrichage du terrain...

- C'est le résultat d'une longue recherche chaque fois. Il y a d'une part la prospection internationale et nos liens avec de nombreux organismes dans le monde. Il y aussi une grande recherche bibliographique qui nous conduit à des pistes inattendues. Parfois c'est un réel défi d'arriver à faire venir les artistes ou les théoriciens que nous avons choisis. Nous sommes heureuses d'avoir présenté pour la première fois à Paris des artistes comme Stelarc, Al Razutis, Lydia Kavina, Allucquere Stone. Ou, en première, des oeuvres d'artistes comme Joan Jonas, Steina Vasulka, David Larcher, Mona Hatoum, Irit Batsry, Vera Frenkel, Grzinic et Smid, Vladimir Kobrine - la liste serait longue. Ou encore le programme de cinéma stéréoscopique abstrait, repris par le Louvre l'année dernière. Ou, cette année, l'axe thématique autour des femmes et de l'autoreprésentation, et évidemment, toute la recherche historique sur la projection et la musique lumineuse. En ce sens les Rencontres servent de "source".

Haut - Allucquere Rosanne Stone (usa) - Conférence / performance en Première à Paris

Bas - Steina Vasulka (Islande-usa) - Monographie / conférence - " Nature et Technologies"

Photo: V.Boutroux / A.S.T.A.R.T.I


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