- Le champ de l'image en mouvement est très vaste. Evidemment, nous avons certaines options, mise à part la défense de la transversalité entre les media, la non hiérarchie. Nous sommes intéressées par des oeuvres qui explorent une certaine profondeur du regard, et en même temps qui tiennent compte du sujet dans sa profondeur. Une certaine abstraction visionnaire nous intéresse beaucoup, de même que nous sommes très engagées dans les démarches corporelles, socio-critiques, et ceci dès le départ, déjà par notre propre pratique. Ce n'est pas contradictoire, car le cinéma abstrait que nous préférons, s'adresse à la fois aux sens et à l'imaginaire, il est beaucoup plus humide, beaucoup plus riche et plus complexe qu'un certain cinéma structurel, trop desséché par la pensée systématique. Dans ce cinéma abstrait qu'a montré William Moritz par exemple (films de Harry Smith, Jordan Belson, James Whitney, Jane Belson etc.), il y a un traitement des formes et un rapport image et son qui transporte le spectateur, le met en état second - c'est une sorte d' extase. Ce cinéma travaille sur l'énergie en fait, sur la spirale énergétique, il sculpte l'énergie avec la lumière. Prenons l'exemple des films de James Whitney que nous adorons, qui sont des films éblouissants.

Ce qui nous intéresse, ce sont les films ou les bandes vidéo qui arrivent à provoquer une mobilisation intérieure très forte du spectateur, du sujet regardant, et qui donc agissent en profondeur.

Par cette option, nous nous distançons de certains courants récents autour de l'image, notamment toute cette invasion de la banalité, des représentations d'un quotidien banal, non travaillé, d'une réalité extérieure réofferte par l'artiste en vrac, d'une certaine misère du banal. Nous croyons que le rôle de l'artiste est justement de repenser le réel, de le rendre sensible d'une autre manière, d'accéder à un autre niveau du sensible. Cette tendance autour du quotidien est devenue actuellement dominante. Et le problème avec les tendances dominantes, c'est qu'elles jettent dans l'exclusion ce qui n'en fait pas partie. Et là on a des phénomènes très étranges qui se passent, par exemple des artistes majeurs, qui ont une réelle réflexion sur l'image en mouvement, perdent soudain toute visibilité, ils ou elles ne sont plus là, alors qu'ils ont une oeuvre exceptionnelle et qu'ils ont influencé le devenir de cet art. L'enjeu est considérable, ce n'est pas une simple divergence de tendances, c'est une réduction du potentiel de la création.

 
Le collectionneur William Moritz (USA) avec Katerina Thomadaki
Présentation en première à Paris des machines lumineuses et des light shows des années 60/70
Photo: V.Boutroux / A.S.T.A.R.T.I

Harry smith (usa)
Film n°7 Color Study, 1951
projection multiple, 16 mm, 7'
Courtesy W.Moritz et ASTARTI

- Ces oeuvres font quand même partie d'une histoire commune de l'image animée au XXe siècle, elles sont héritières de cette histoire, de cette pensée qui s'est développée et qui constitue déjà un fond commun. A partir de là, on a plusieurs types d'inscriptions dans tout cela. Peut-on encore parler d'identité nationale aujourd'hui? Pour ce qui nous concerne, nous en sommes arrivées à contester complètement la notion de nation. Nous pensons qu'au stade où on en est, entre les dangers du nationalisme et la conscience croissante du multi-culturalisme, il est très difficile de raisonner en termes de nations, mais il y a quand même des cultures bien distinctes. Ces cultures marquent les oeuvres, même si les marquages sont indirects, peut-être pas décelables d'emblée. On ne peut pas identifier par exemple un courant anglais, c'est vrai que l'image en mouvement est très développée en Angleterre, mais il y a des tendances extrèmement diverses. Il est donc difficile de poser la question des origines, à part les cas d'artistes qui travaillent spécifiquement sur les origines. Nous-mêmes, nous avons beaucoup travaillé sur la question des origines, à travers les mythologies et les cultures extra-européennes, c'est visible même dans notre travail sur l'Ange, qui ne se pose pas comme un travail sur les origines au premier plan, mais où c'est clair que nous sommes marquées par une certaine tradition culturelle - grecque, byzantine, etc. Dans notre cas précis, c'est une tradition culturelle que nous intégrons, que nous gardons précieusement, sans non plus y rester emprisonnées. Dans un cas comme celui d' Irit Batsry, qui est d'origine israëlienne, peut-on se demander qu'est-ce que cela apporte à ses images? Peut-on supposer que le grand degré d'abstraction, la dissolution de l'image qu'elle fait, son travail sur l'ombre, sur la disparition du représenté a à voir avec la tradition judaïque de la non-représentation? Il faudrait savoir ce que l'artiste elle-même en pense.

Dans des pays comme les Etats-Unis, le Canada, l'Angleterre, l'Allemagne, il y a certains mouvements sociaux qui sont très développés, plus développés qu'en France actuellement, nous entendons par là le féminisme, le mouvement homosexuel ou même le mouvement transsexuel ("transgender"). Mais là encore, est-ce qu'on peut vraiment parler de pays? Il s'agirait d'un phénomène plus international : cet effort qui est fait de facon transnationale pour faire avancer certaines questions sociales.