A. G. : Je constate que vous ne présentez pas d'oeuvres provenant d'Asie - à part le Japon, pour un court métrage - ou d'Afrique. Le cinéma expérimental n'existe-t-il pas dans ces pays, ou n'y avez vous pas accès? |
- Ta question serait, est-ce que ces formes d'art sur lesquelles nous portons notre intérêt, qui utilisent des technologies actuelles, existent, est-ce qu'elles sont même justifiées dans des pays qui ne sont pas aussi obsédés par la technologie que l'Amérique du Nord et l'Europe? Il faut dire que nous n'avons pas fait de prospection dans ces pays. Evidemment, nous avons vu beaucoup d'oeuvres réalisées par exemple à Hong-Kong ou aux Philippines, nous connaissons un peu la production. Là, ce sont des cas où nous n'avons pas choisi d' oeuvres parce que nous n'en avons pas trouvées qui nous ont intéressées, qui aient des démarches suffisamment convainquantes, et en général, tout ce qui nous a été présenté comme les tendances expérimentales dans ces pays pour l'image en mouvement, ce sont des approches beaucoup plus narratives ou documentaires, donc par définition cela ne fait pas partie du champ couvert par la manifestation. Là où il y a des démarches expérimentales, c'est en Amérique latine, mais nous n'avons pas eu l'occasion de faire vraiment une prospection. A notre connaissance, nous n'avons jamais vu de films "expérimentaux" provenant d'Afrique. Est-ce qu'il existe des choses qu'on ignore? Est-ce que cela ne fait absolument pas partie des préoccupations des pays africains? Certainement ce sont des pays où il y a d'autres priorités, mais on n'en sait rien. Peut-être qu'il y a des artistes qui cherchent de nouvelles formes utilisant des techniques contemporaines, et qui travaillent d'une toute autre facon certainement que ce que nous faisons ici, ce serait très intéressant de les découvrir. |
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A. G. : Lorsque je parlais tout à l'heure de différences entre les cultures, il m'avait semblé que les films russes que vous aviez montré présentaient beaucoup de différences avec les autres. |
- Certainement, mais la Russie comme les autres pays de l'ex Europe de l'Est ont une très grande tradition d'avant-garde. Si on a arrêté de voir leurs productions, c'est à cause du rideau de fer, les choses ont été simplement occultées, ce n'est pas qu'elles n'existent pas, au contraire, et nous trouvons extrêmement intéressant ce qui se passe dans les pays d'Europe de l'Est. Nous avons choisi très peu de démarches mais qui nous semblaient représentatives de tendances différentes. Quelqu'un comme Vladimir Kobrine maîtrise parfaitement toutes les techniques de l'image animée, le montage, le son, tout en apportant des éléments culturels spécifiques au contexte russe : un certain mysticisme et un mélange tout à fait inédit du passé et des technologies avancées, des objets anciens, des machines manuelles et des ordinateurs, le tout empreigné d'une mélancolie, et d'un sens de l'absurde. Ce sont des films à la fois déroutants et très séduisants. Mais les phénomènes sont différents selon les pays : Marina Grzinic et Aina Smid, les vidéastes slovènes, explorent l'impact des media sur les réalités sociopolitiques de l'ex-Yougoslavie. Dalibor Martinis, croate, offre des représentations du désir et de la sexualité qui oscillent entre la tendresse et une grande violence qui dévoile le marquage intérieur de la répression et de la guerre. Ces artistes yougoslaves renvoient un miroir très critique à l'Occident, tandis que les artistes russes que nous avons choisis - Kobrine, Galeyev, ou Theremin à travers la virtuose du Thereminvox Lydia Kavina - sont réellement ailleurs. Ils développent des dimensions qui ne sont pas explorées en Occident, et cela fait vraiment une coupure très intéressante. Pour ces Rencontres, les films et les artistes venant de Russie ont été les plus difficiles à avoir, mis à part la chance inouïe d'avoir Lydia Kavina à Cologne en ce moment, parce que si elle était à Moscou nous n'aurions pas pu la faire venir. C'est lié aussi à toute l'administration du pays, avec lequel il est encore pratiquement impossible même de communiquer par la poste. Mais il y a là des trésors qu'il faut essayer de faire sortir et de montrer. |
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A. G. : La vidéothèque de Paris présente actuellement un programme intitulé "Sexe et Tabou", à l'intérieur duquel un "sous-programme", "sans tabous", présente, tard le soir pendant les week-end, des films plus proches du cinéma expérimental. Un certain nombre d'oeuvres y figurant ont été montrées pour la première fois lors de vos précédentes Rencontres à cette même vidéothèque. Quel fut l'accueil de ces films, à l'époque, et pensez-vous que les mentalités aient changé? |
- Effectivement, il y a des films et des vidéos de cette programmation que nous avons montrés pour la première fois à Paris, comme la vidéo "Linda / Les et Annie" d'Annie Sprinkle, que nous avons présenté pendant les Rencontres de 1994, un document unique sur une femme transsexuelle dans le sens femme>homme, qui est un aspect qu'on connaît beaucoup moins que la transsexualité homme>femme. Quand nous l'avons montré, cela a suscité des réactions très fortes. Ce film avait énormément scandalisé certains institutionnels, et c'est très intéressant de voir comment cette même institution qui est scandalisée en 1994 ne l'est plus en 1998. On peut se poser la question: mais qu'est-ce qui s'est passé entre temps? Cela veut dire que, encore une fois, les choses ont fait leur chemin, la question du sexe évolue toujours, les tabous se rétrécissent, quoique, nous ne savons pas si l'évolution est réellement profonde, mais c'est très intéressant d'observer ce phénomène. |