Obscurs
éclats – à propos des tableaux photographiques de Valia Nicoltzeff
"Balade nocturne
ou Féo et Dima au clair de lune..." (2022) par Valia
Nicoltzeff
Un couple avance, de dos, dans un paysage désertique,
où des arbres nus se détachent sur l’opacité du ciel. Un oiseau plane au-dessus
des amoureux, qui semblent donner vie au sol craquelé qui les porte et se
dirigent vers une lumière.
J’ai découvert Valia Nicoltzeff sur Facebook, il y a
bientôt deux ans, à travers ses images égrenées avec parcimonie et discrétion.
Si elles ont beaucoup évolué d’un point de vue technique, l’on observe une
constante. Composées sur ordinateur à partir de photographies, par le biais,
entre autres, de la surimpression, ses images - qui passent par le filtre de
son imagination mélancolique pour créer des univers le plus souvent sombres,
parfois traversés par des rayons d’espoir - touchent à toutes les blessures de
notre monde qui s’effondre.
D’une grande sensibilité, elles sont souvent
désespérées, comme cet « ange déchu » aux « ailes
pulvérisées », accroupi, nu, sans défense, comme égaré devant la ville
grise, dont le reflet est troué de noires béances[1]
ou comme « l’homme-déchets », fantôme de nos capacités destructrices,
ou encore comme ce « Narcisse aux déchets » nu lui-aussi, allongé
devant une déchetterie géante - reflet de notre société superficielle
génératrice de détritus – et qui se mire dans l’eau polluée. Dilution ou
« pétrification », ou encore « effacement », à l’instar de
ces femmes afghanes dissimulées sous leurs burkas, prisonnières de leur carcan
de tissu, et qui pourtant tentent de résister, encore portées par l’éclat de
leurs rêves.
L'ange déchu ou les ailes pulvérisées (2018)
par Valia
Nicoltzeff
Chaque image est un monde, ou une facette de ce monde.
Reflet d’une terre d’après la catastrophe, vestiges de notre société
industrielle baignée dans ses illusions et qui s’auto-détruit, paysage dominé
par la mort où pourtant perce la lumière. Le crépuscule annonce l’aurore et la
lune éclaire la part rêvée du monde.
Comme dans un temps arrêté, entre le passé miné et un
futur possible, se manifestent l’amour ou la rêverie solitaire. Dans
« Appel d’air », une petite silhouette apparaît dans un crépuscule
lumineux ou une aube verte. Du glauque peut renaître la vie.
Tandis que notre monde s’écroule, une autre vie
s’exprime, que ce soit à travers l’amour et sa lumière, ou par le biais de
figures mythiques, comme celle du cheval, qui apparaît comme un leitmotiv dans
les images de Valia. Presque disparu de nos sociétés motorisées, il surgit dans
nos songes, tel un passeur. Animal psychopompe, intermédiaire entre les mondes,
il devient passe-muraille, traversant les murs de la chambre du Rêveur. Pégase
moderne, il hante les tableaux photographiques de Valia Nicoltzeff.
Vision d’une armée de pylônes électriques, qu’un homme
accompagné d’un cheval blanc observe de loin, dans le travail photographique
intitulé "Aux Vents
Mauvais...".
Figures mélancoliques, romantiques désabusées, lointains échos des voyageurs
solitaires qui apparaissent dans les tableaux de Gaspar David Friedrich.
Dans « Petit conte de la lune ordinaire »,
au-dessus d’un long mur où est inscrit l’Aleph, l’Alpha de l’anarchie, des
oiseaux noirs ont envahi le ciel pâle. Une femme les regarde : « la
fumeuse », ermite d’une métropole désertée, tandis que dans « Eloge
de la lenteur », une silhouette avance dans un paysage flottant parsemé
d’or qui se confond avec son reflet, comme un clin d’œil à un tableau du
grand-père de l’artiste, Paul Maïk, peintre à la Ruche il y a un siècle, où
arbres et silhouettes d’orants aux bras tendus vers le ciel se dessinent sur un
paysage doré.
Entre visions de fin du monde et univers oniriques aux
accents tarkovskiens baignés d’une lumière porteuse d’espérance et de beauté,
l’art de Valia Nicoltzeff s’affirme et devient, d’une image à l’autre, toujours
plus épuré. Humains rescapés du désastre et animaux songeurs résistent, avec
une grande douceur, pour nous inviter à rêver.
Anguéliki Garidis
[1] Cet ange m’a rappelé, sans lui ressembler, l’ange aux yeux bandés et aux ailes brûlées ou irradiées, qui se déploie dans l’œuvre de Maria Klonaris et Katerina Thomadaki, où il demeure immobile, impuissant, devant le désastre du monde.
L'Homme-Déchets (2018)
par Valia
Nicoltzeff
"Narcisse aux
déchets..." (2021) par Valia Nicoltzeff
Effacement (2021) par Valia Nicoltzeff
"Appel
d'air..." (2021) par Valia Nicoltzeff
"Le Rêveur" (2019) par Valia Nicoltzeff
"Aux Vents Mauvais..."
(2021) par Valia Nicoltzeff
"Éloge de la
Lenteur" (2021) par Valia Nicoltzeff