FRAC

 

"La Suisse existe"

Dans le cadre de l'exposition "Je pense, donc je suisse" présentée par le FRAC Provence-Alpes-Côte d'Azur, le Commissaire d'exposition Sabine Schaschl a choisi une douzaine d'artistes dont les approches et moyens d'expression sont très divers.

L'humour est ici présent avec la vidéo "Der Mann im Mond" de Zilla Leutenegger. Son homme/femme qui urine sur la lune devant un clair de terre nous suggère en plus du sourire une réflexion implicite sur la condition féminine.

D'autres clins d'oeil encore avec le "Cowboy Lucky Luke" de Paul Ritter qui tient le visiteur dans le champs de tir de son ombre, et de Lori Hersberger, la "School of bad ideas" dont le néon éclaire sur le langage inversé des jeunes motards.

Certains créateurs sont particulièrement inspirés par des drames de notre époque. Le puzzle de Christoph Draeger sur l'avion de la TWA écrasé en mer exprime sa vision apocalyptique du monde. L'installation vidéo "Babette" de Muda Mathis est le témoignage d'un conflit dont le lieu, quoiqu'imprécis, évoque des situations récentes en plusieurs parties du monde. Dans un même souci de rapporter la réalité de la guerre, Christoph Schneeberger propose des images sous la forme de cartes photographiques placées sur un simple présentoire mural.

Le couple L/B (Sabina Lang et Daniel Baumann) présente une installation dont le design géométrique explore efficacement l'espace. Les photographies de la série "Pré" de Stefan Altenburger sont des champs de grande intensité lumineuse imprégnée de poésie.

On accède à l'exposition par un passage de "glaciers" virtuels réalisés en toile par Eric Schumacher.

Ces démarches diverses où passent l'émotion et la réflexion répondent à leur façon à la boutade de l'artiste Ben selon laquelle "la Suisse n'existe pas".

Natan Karczmar

 


Une exposition proposée dans le cadre d'un échange avec le Centre d'Art Shed im Eisenwerk de Frauenfeld en Suisse, avec le soutien de Pro Helvetia et du Lotteriefond des Kantons Thurgau.

L'exposition "Je pense, donc je suisse" organisée par le Frac Provence-Alpes-Côte d'Azur réunit une douzaine d'artistes suisses dans le cadre d'un échange initié avec le Centre d'Art Shed im Eisenwerk de Frauenfeld (Suisse). En novembre 2000, ce dernier présentait "Objet/Projet", une exposition d'uvres de la collection du Frac PACA. Deuxième volet de cet échange, "Je pense, donc je suisse", exposition "retour" émane d'une proposition de Sabine Schaschl, commissaire d'exposition et directrice du Centre d'Art de Frauenfeld.

"L'ambition de l'exposition "Je pense, donc je suisse" est double : il s'agit d'une part d'apporter un contrepoids communicatif à la stratégie de la table rase imposée par le slogan de Ben "La Suisse n'existe pas", et de l'autre, de positionner la création artistique de la Suisse de façon à la fois "audacieuse" et authentique et ce, en exploitant l'orientation programmatique du centre d'exposition, Shed im Eisenwerk. " Sabine Schaschl

 

 

 

Stefan Altenburger


Stefan Altenburger, coll Amt für Hochbauten, Zürich, 2000
"Je pense, donc je suisse" Frac PACA, 28 avril/16 juin
© J.-C. Lett

 

 

Né en 1968 à Zürich, vit et travaille à Zurich

Pour caractériser les photographies de la série "Pré", il est plus facile de dire avant tout que c'est exactement le motif que Stefan Altenburger cherche à ne pas représenter. De nombreux détails, comme par exemple des branches cassées, des feuilles éparpillées çà et là, sous la neige, apparaissent certes dans le champ visuel de cette prairie qui se trouve vraisemblablement en Europe Centrale. Rien n'indique qu'il s'agit d'un pré romantique ou fantomatique. Il n'y a
aucun indice de narration. Le pré ne devient pas le décor d'une histoire. On se sent pour ainsi dire surpris de voir que la seule désignation des choses ne signifie pas pour autant leur compréhension.

 

 

 

Olaf Breuning

 

Né en 1970 à Zurich, vit et travaille à New York

(Extrait d'une interview entre Olaf Breuning et Sabine Schaschl)

S. Sch. : La manière dont tu as placé les symboles et les signes constitue pour moi une sorte "d'état intermédiaire". Ils pourraient être extrêmement lourds, mais en même temps, ils ne le sont absolument pas. Toutefois, on sent cette charge qui n'est pas exprimée.

O. B. : C'est tout à fait ça. Mon art ne doit pas être prononcé. Mon art est une sorte de carrefour dans un système de communication.

S. Sch. : Tu dis que tu utilises différents codes ou symboles. Dans ce cas procèdes-tu à une étude exacte ou bien prends-tu ceux qui existent déjà sous forme cachée ?

O. B. : Je pense qu'il est possible aujourd'hui de travailler avec les signes d'une manière très décontractée, car ils ont déjà été utilisés et saisis des milliers de fois. Ils ne sont plus dotés d'une seule signification, ce qui veut dire qu'ils permettent toute une gamme d'interprétations les plus diverses. Ce qui m'intéresse surtout, c'est d'utiliser des signes dont "l'Aura" est aussi grande que possible. Mon étude des codes et des symboles correspond à ma vue kaléidoscopique du monde.

 

 

 

 

Christoph Draeger

 

Né en 1965 à Zurich, vit et travaille à New York

Désastres, catastrophes sont les événements sur lesquels se construisent les oeuvres de Chritoph Draeger. Catalogue raisonné des icônes des apocalypses au quotidien (accident d'avion, tremblement de terre, raz-de-marée, extraits violents de "films d'action", etc.), son oeuvre photo ou vidéo recense ces déflagrations qui trouent les images de l'information. Ainsi, la pièce du Frac, TWA 800, III, actuellement exposée, ressaisit-elle à travers l'image d'un puzzle de 7500 pièces, l'avion TWA écrasé en mer au large de New York. L'avion fut reconstitué en par la CIA pour les besoins de l'enquête, puis photographié.
C'est autour du paradoxe de leur évidence, au cur de laquelle, disait Jabès, il y a le vide, que joue l'artiste : fascinantes dans leur caractère, impérieux d'autorité sans détours, meurtrières dans leur rapport à l'espace et au temps (elles les suspendent indéfiniment), ces vignettes mythologiques seraient la forme exponentielle de notre horizon désormais dévasté.

 

 

 

Lori Hersberger


Lori Hersberger, "School of bad ideas"
"Je pense, donc je suisse" Frac PACA, 28 avril/16 juin
© J.-C. Lett

 

Né en1964 à Bâle, vit et travaille à Zurich et Bâle

Les oeuvres de Lori Hersberger embrassent des processus de découverte de la subjectivité et leur mise en uvre dans la matrice individuelle de la personnalité. Les modèles de tels processus se rencontrent dans les lieux et médiums les plus divers et à des moments différents : cinéma, télévision, publicité, revues, manifestations sportives, soirées, etc. Le vocabulaire de Lori Hersberger ­ dans ses installations vidéos ou lumineuses et ses peintures ­ se rattache principalement aux systèmes de matrice des films d'action et des westerns, de la musique pop et du monde de la nuit. Ainsi l'inscription en néon "School of bad ideas", un des travaux les plus récents de l'artiste, vient ­ comme un slogan ­ du jargon des bandes de motards. Un
adepte des "School of bad ideas" s'approprie ainsi un monde d'idées qui - pour les membres ­ passe pour positif et "cool". Ce faisant, le mode d'expression linguistique joue avec l'inversion d'acceptations usuelles et traditionnelles : le positif peut être tourné en négatif et vice-versa. Ainsi, pour les groupes de motards, l'expression "a really bad guy" est une haute distinction et
n'a rien à voir avec la connotation usuelle. Toutefois, "School of bad ideas" constitue aussi une parenthèse pour tous ceux qui sont absorbés par les différentes formes de révolutions, même petites. La fuite hors des systèmes établis, le détachement de quelque chose qui semble nous avoir été imposé, etc., emplissent la quête d'un révolutionnaire potentiel sans pour autant donner ni instructions ni ordres.

 

 

 

L/B

 

Sabina Lang née en1972, Daniel Baumann né en 1967 ; travaillent ensemble depuis 1995, vivent et travaillent à Burgdorf

 

"L/B travaillent principalement sur des espaces d'habitation et de vie qui deviennent des espaces d'exposition et vice-versa. Les deux artistes mettent en scène, de manière radicale, leur propre goût axé sur le design et la mode des années soixante et soixante-dix. Au moyen de sujets et de modèles de grandes surfaces, Lang / Baumann transforment d'honnêtes maisons bourgeoises en chill-out-lounges douillets et font des halls d'exposition les plus stériles des oasis empreintes de leur esprit ludique et dotées d'une géométrie bariolée."

Jörg Becher, Bilanz N° 6/2000.

"L/B sont appelés volontiers les "Maîtres de la surface". Leur maîtrise de la couleur, de la forme et de la matière, mais aussi leur virtuosité leur permettent de créer des environnement sans cesse renouvelés et d'une grande séduction. Les espaces d'habitation de L/B sont le résultat d'une rencontre entre des éléments du design et de la culture des années 70 et le monde du sport."

Nika Spalinger, Laudatio Loise-Aeschlimann Stipendium 2000

 

 

 

Zilla Leutenegger


© Zilla Leutenegger

 

Née en 1968 à Zürich, vit et travaille à Berlin et Zurich

Les travaux de Zilla Leutenegger sont ­ suivant sa propre expression ­ "comme des fenêtres qu'elle ouvre de temps à autre pour permettre à d'autres de jeter un coup d'oeil dans son univers romantique". Le langage du romantisme lui sert de lien avec l'observateur auquel elle s'adresse.
"L'homme sur la lune" est à vrai dire une "femme sur la lune" qui imite la manière masculine d'uriner. La prise de possession territoriale est ici dotée d'humour, et évoque en même temps les conquêtes des théoriciennes féministes. Pour Leutenegger, la forme actuelle de l'émancipation ne signifie pas un nivellement des sexes, mais bien plus la mise en valeur des qualités particulières des deux sexes. Comment s'exprime aujourd'hui la conquête intellectuelle de notre culture de masse ? Quels modèles trouve-t-on pour ce faire et comment sont-ils formés ? En faisant référence à la complicité qui peut s'établir entre un père et un fils qui urinent ensembles, l'artiste s'empare d'un motif usuel pour elle-même et produit ainsi l'image d'une existence harmonieuse.

 

 

 

Muda Mathis

 

Née en 1959 à Zurich, vit et travaille à Ville Neuf

 

Les productions artistiques de Muda Mathis sont toujours marquées par des collaborations avec d'autres artistes ­ notamment dans les domaines de la vidéo, de l'installation et de la performance ­ (elle a travaillé entre autre avec Pipilotti Rist, Fränzi Madörin, Käthe Walser et Sus Zwick). En tant que groupe musical, son groupe Les Reines Prochaines s'est fait une place depuis longtemps dans le monde artistique. L'installation vidéo "Babette", un travail commun de Fränzi Madörin, Muda Mathis et Sus Zwick comprend deux lignes de récits parallèles. La première est la ligne narrative dans laquelle Babette met en
rapport deux conditions de vie : témoignage d'un contexte de conflit et quotidien des suisses avec leur histoire politique particulière. La seconde ligne, imagée, fait virevolter des objets de tous les jours ­ choux rouge, café et tasses vides ­ sur un fond de musique. Le prétendu monde féminin, qui vient intuitivement à l'esprit à l'évocation d'images de fleurs, de fruits et de danse, est en même temps soumis à une approche cynique.

 

 

 

Rahel Müller

 

Née en 1964 à St. Gallen, vit et travaille à Frauenfeld

 

La photographie cherche traditionnellement à conserver et à mémoriser ce que l'on voit. Rahel Müller utilise ce médium comme un moyen de communication philosophique destiné à absorber la dissolution de l'existence. Dans la série "Burning pictures", la mer devient le motif de ce qui se construit, et se dissout à la fois. Son art de la photographie rejoint ainsi les réflexions du philosophe Karl Jaspers qui, dans l'essai Du commerce avec la mer dit ce qui suit : "La mer est la présence concrète de l'infini. Infinies sont les vagues. Tout est toujours en mouvement. Il n'y a rien de fixe et d'entier dans l'ordre infini, cependant perceptible. La mer est une présence en soi. Elle libère en dépassant le sentiment de sécurité, mène là où toute stabilité s'arrête, mais où nous ne sombrons pas dans un univers sans fond. Nous nous confions à ce secret infini, à l'imprévisible, au chaos et à l'ordre. "

Otto A. Böhmer, Sternstunden des Philosophierens, Beck, 1994, p. 122

 

 

 

Paul Ritter


Vue d'ensemble (oeuvre de Paul Ritter et de Christov Schneeberger)
"Je pense, donc je suisse" Frac PACA, 28 avril/16 juin
© J.-C. Lett

 

Né en 1967 à Frauenfeld, vit et travaille à Vienne

 

À partir des icônes de tous les jours, Paul Ritter crée des environnements de subjectivité qui se rattachent en de nombreux points au monde extérieur et qui forment ainsi un cycle apparemment sans fin. Le jeu et les personnages de bandes dessinées, des contes de fées ou de science-fiction mais aussi ceux des films hollywoodiens servent de base à ses travaux exécutés la plupart du temps sur des murs. Ce faisant, Ritter se saisit de motifs prélevés au savoir collectif pour les placer dans un nouveau rapport avec les observateurs auxquels ils s'adressent. Le Cowboy Lucky Luke ­ qui tire plus vite que son ombre ­ devient le point de départ du travail au sol et au mur, conçu spécialement pour le Frac PACA. L'observateur se trouve placé entre deux ombres de Lucky Luke et doit réagir. Prend-il la place du héros de bande dessinée ou bien se tient-il juste derrière lui ? Qui gagne le duel ? Qui tire le premier ? "Draw" (en anglais : match nul, tirer), est le titre de l'oeuvre

 

 

 

Christoph Schneeberger

 

Né en 1976, vit et travaille à Zurich

Christoph Schneeberger est un représentant typique d'un positionnement ancré dans la culture multimédia devenue une évidence pour sa génération. Il uvre entre l'engagement politique (notamment dans des initiatives de solidarité pour des réfugiés), une culture techno, une interprétation littéraire de la vie et un ancrage théorique par l'étude de la philosophie.
Odyssee Raportage I et II constitue une série de photographies qui ont été prises en Bosnie-Herzégovine et qui parlent d'elles-mêmes sans indication, ni référence au lieu. Les photos pourraient avoir été prises en Suisse, aux États-Unis En tant que "rapporteur", l'artiste perçoit un monde empli de contradictions, collectionne et "regroupe" les photos de ce monde.
Comme dans la composition d'une chanson Rap, il y a une succession de courtes évocations qui ne traduisent pas qu'un seul, mais de nombreux messages.

 

 

 

 

Eric Schumacher

 

Né en 1966, vit et travaille à Zurich

Les travaux d'Eric Schumacher contiennent toujours une part d'imprévu et jaillissent d'une idée le plus souvent simple, qui est ensuite développée et finalement affinée pour éviter de devenir étroite et banale. Dans une exposition baptisée "Je pense, donc je suisse", on pense bien entendu aux montagnes et aux glaciers. Et c'est ce stéréotype auquel Schumacher s'attaque.
Toutefois, le motif devient un rappel très personnel de la mort de Martin Hodel, artiste ami avec lequel Schumacher et Andrea Clavadetscher ont travaillé jusqu'en 1995. Pour entrer dans le monde de l'exposition "Je pense, donc je suisse", les visiteurs doivent aussi passer par les glaciers et crevasses qui forment l'entrée. Cet "accès" permet d'entrer intellectuellement et physiquement dans ce qui va venir, comme une sorte d'explication et de "purification" psychique : je suis et je suisse ­ je suis nomade.

 

 

 

Roman Signer

 

Né en 1938, vit et travaille à Saint-Gall

Depuis plus de trente ans, Signer réalise des sculptures qui sont les résidus des performances qu'il organise. Hand est composée d'une structure de bois maculée de peinture. Au premier abord, elle ressemble à une armature vide accolée au mur, austère dans sa physique minimale. Mais lorsqu'on s'approche, on découvre sur une paroi intérieure la trace d'une main laissée vierge sous les projections de peinture. L'artiste, qui a fait exploser un pot de peinture dans cette boîte, y a provoqué un événement à l'allure d'accident duquel il reste l'empreinte de sa main, seule marque tangible de l'artiste dans cette pièce et vieux souvenir de la marque de l'homme sur la matière. L'objet exposé est ainsi devenu le vestige de l'explosion, et le résultat plastique de l'opération compte tout autant que le moment de la performance. Cette affinité entre le phénomène de l'explosion et le processus sculptural conduit Signer à une expérimentation permanente sur le simple cours des choses. En se mettant lui-même à l'épreuve dans les accidents qu'il provoque, il perturbe l'équilibre naturel entre les éléments. Ses sculptures sont donc de petits restes d'une concentration d'énergie dont il a su provoquer la propulsion.

Une vidéo, prêt de la Galerie Art : Concept (Paris), propose également un "inventaire" de la plupart des performances qu'il a réalisées entre 1975 et 1984. On se rend compte ici du caractère "historique" et fondamental de son travail.