Hôtel de ville de Paris / Coups de coeur

 

 "Les Contes de Youri Norstein
et Franceska Yarbousova"


Texte : Anguéliki Garidis

 

L'exposition "Les Contes de Youri Norstein et Franceska Yarbousova ou la genèse d'un film" permet une vision d'ensemble de l'oeuvre éblouissante du réalisateur de cinéma d'animation Youri Norstein et de sa femme Franceska Yarbousova, également peintre-réalisatrice.
En plus des films réalisés (visibles sur grand et petit écran), les visiteurs ont la possibilité de découvrir tout le travail préparatoire: dessins, croquis, esquisses, aquarelles, storyboards et boîtes de prise de vues.

Les deux premiers courts-métrages de Norstein sont un hommage à la peinture : Le 25 octobre - 1er jour réalisé en 1968, qui évoque la Révolution d'Octobre - film aujourd'hui renié par son auteur car trop lié à la propagande de l'époque - est un hymne à la gloire de l'avant-garde artistique (Constructivisme, Braque, Chagall, etc.), tandis que La bataille de Kerjenets (1971) s'inspire de la peinture byzantine. Des personnages d'icônes s'animent, une armée s'avance sur un fond craquelé comme une icône vieillie, tandis que les mouvements de la bataille sont rendus par des effets lumineux qui donnent au film une dimension parfois presque abstraite.

Après ces deux courts-métrages au caractère plutôt historique, Youri Norstein s'est consacré au conte : Le lièvre et la renarde, en 1973, Le Héron et la Cigogne, en 1974. Le premier, proche de la peinture populaire, le second plus graphique, l'un évoquant la peur, l'autre la relation amoureuse, tous deux des "drames psychologiques" - pour reprendre les termes de Norstein - dont les animaux sont les héros.

En 1975, Youri Norstein et Franceska Yarbousova réalisent le merveilleux Petit hérisson dans le brouillard. Le petit hérisson va retrouver son ami l'ourson pour regarder les étoiles, mais en chemin, il aperçoit un cheval blanc dans la brume, et décide de descendre "pour voir le brouillard de l'intérieur", brouillard rendu dans le film par la poussière sur les vitres et le celluloïd qui se superposent dans la boîte de prise de vue pour donner l'impression de la profondeur. Cauchemard pour le petit hérisson, poésie pour le spectateur. La technique s'allie au rêve pour créer des images magiques, oniriques : "C'est avec lui (Alexandre Joukovski) que nous avons créé le principe de prise de vues sur des niveaux mobiles dont la hauteur varie avec les images. Une caméra se déplaçant sur tous les plans permettait d'obtenir une liberté de mouvement dans le champ de prise de vues. L'image acquérait une volatilité.

 


Le Petit hérisson dans le brouillard, réalisateur Youri Norstein.
Fondation Youri Norstein. © Boris Bendikov

 

Le Contes des contes, réalisé en 1979 et couronné "meilleur film d'animation de tous les temps et de tous les pays" à l'issue d'un sondage international (1984), est un condensé de poésie.
Film non narratif, où des scènes reviennent en boucle, dans une construction cyclique où différentes "histoires" s'entrecoupent : le Petit Loup gris, né d'une berceuse chantée à un bébé, qui tente de se protéger contre la ville ; les femmes, abandonnées par leurs maris, frères, pères, morts ou blessés à la guerre, immobilisées au milieu d'une danse, le petit garçon parmi les pommes géantes tombées dans la neige, le monde du rêve, de la poésie, où un taureau - inspiré par les Minotaures de Picasso - joue à la corde à sauter avec une petite fille, et où les poissons volent. Monde immuable, hors du temps, dans lequel le Petit Loup va pénétrer par une porte lumineuse pour rapporter les écrits du poète, qui se métamorphosent dans le monde "réel" en un bébé qui pleure, dans un retour vers le début du film.

 


Franceska Yarbousova, Le Petit Loup sur le pas de la porte de la vielle maison
Esquisse pour le film Le Conte des Contes, 1979, réalisateur Youri Norstein.
Aquarelle et blanc de titane sur papier.
Fondation Youri Norstein. © Boris Bendikov


Sons et musiques accompagnent les scènes, les imprègnent chacune de leur tonalité particulière: la berceuse du Petit Loup gris, un tango tragique pour les danseurs qui vont être séparés par la guerre, Bach pour le monde du poète.
Un train passe en sifflant, des voitures démarrent bruyamment. Leitmotive du passé et du présent. Des incrustations de phares de voitures viennent troubler l'univers du Petit Loup qui se voit, étonné, dans le miroir d'une roue. Immense et bouleversant regard du Petit Loup lorsqu'il observe le monde.
Film sur les souvenirs, sur la mémoire. Youri Norstein le révèle : "Le film Le Conte des contes est celui qui m'est le plus cher parce qu'il est le plus personnel, parce qu'il s'agit, dans une large mesure, d'une confession."

 


Franceska Yarbousova, Midi.
Maquette et décoration pour le film Le Conte des Contes, 1979, réalisateur Youri Norstein.
Technique mixte.
Fondation Youri Norstein. © Boris Bendikov

 

Depuis Le Conte des contes, depuis plus de vingt ans, Youri Norstein et Franceska Yarbousova travaillent sur une adaptation du Manteau de Gogol. Vingt deux minutes sont visibles de ce film toujours inachevé.
Extraordinaire expressivité d'Akaki Akakievitch dont le visage a été si difficile à trouver : "Le visage d'Akaki Akakievitch restait tout simplement introuvable - rien ne convenait. La difficulté tenait à ce que son aspect extérieur devait être fluide, changeant... Mais finalement apparut un petit bout de dessin. Tout petit. La tête d'Akaki."
Noir et blanc somptueux et désespérant, où la technique encore vient offrir sa charge de matière : celluloïd collé sur du papier, encres appliquées sur des feuilles d'alluminium grattées à l'acétate...

 


Franceska Yarbousova, Les abords du cimetière.
Esquisse pour le film Le Manteau, 1996, réalisateur Youri Norstein.
Aquarelle et blanc de titane sur papier kraft.
Fondation Youri Norstein. © Boris Bendikov


Dans Le Manteau, chaque instant, chaque petit rien de la vie est magnifié. Lorsque Akaki Akakievitch arrange sa chaussette trouée, boit une gorgée de thé brûlant, avec des gestes lents et appliqués, c'est toute sa vie de copiste qui est condensée dans ces petites habitudes, toute sa tragédie. Le Manteau, pour moi, c'est le fond génétique de la honte humaine", écrit Norstein.

Anguéliki Garidis