[ Palais des Beaux-Arts ]

 

 ELAINE REICHEK

« Chez soi & dans le monde »

 

Tout au long de sa carrière, l'artiste américaine Elaine Reichek a eu recours à des techniques très diverses. Mais pour son exposition au Palais des Beaux-Arts, il s'agit essentiellement de travaux d'aiguille. Trente quatre broderies associées au film vidéo When This You See... constituent une installation directement conçue en fonction du lieu d'exposition. Reichek a ainsi choisi pour les murs des Antichambres des tons privilégiés par Horta. Ont également été intégrées dans
l' exposition deux photographies anciennes commémorant le passage dans ces lieux-mêmes de trois grands artistes beiges du xxe siècle, René Magritte, Paul Delvaux et Marcel Broodthaers.

Les oeuvres brodées ont toutes pour titre principal Sampler, se référant à un type traditionnel d'ouvrage de jeunes filles, 1' «abécédaire» ou tableau brodé offrant un échantillon des différents points de couture et de broderie, et représentant souvent un alphabet ou un dicton. Ce type d'ouvrage, connu de nos arrières grand-mères et jugé digne tout au plus de récolter la poussière au fond des musées d'arts populaires et d'arts appliqués, Elaine Reichek se l'est approprié afin d'en explorer les possibilités, et cela en tant que femme artiste formée dans la plus pure tradition moderniste formaliste (Reichek fut l'élève du peintre abstrait Ad Reinhardt). Les caractéristiques de l'image brodée confèrent à cette recherche une dimension particulière constituée de très petits fragments soigneusement maîtrisés, elle s'apparente aux medias modernes tels l'imprimerie ou l'image digitale.

Les Samplers comportent toujours des citations, que ce soit sous forme de fragments de textes ou bien d'images empruntées à d'autres artistes. On distingue deux groupes d'oeuvres. Un premier ensemble a été conçu à partir de citations de grands auteurs concernant les ouvrages de dames. La vidéo When This You See..., composée de scènes de films montrant des actrices occupées à coudre ou à tricoter, le complète. Un second ensemble d'oeuvres traite du «noir et blanc » et des diverses associations qu'évoquent ces deux concepts.

Ce qui relie les deux ensembles et qui apparaît sans doute comme l'un des thèmes principaux du travail d'Elaine Reichek, c'est le souci constant d'établir un rapport critique à la tradition. Cet intérêt est bien évidemment déjà présent dans son choix des techniques et des matériaux : en pratiquant, dans un contexte artistique et muséal, une activité féminine qui n'est traditionnellement pas considérée comme de l'art, elle met en question tout un système de valeurs et d'exclusions, tout en

réhabilitant cette activité. Remarquons d'ailleurs que le procédé préféré de Reichek, la citation, n'est autre qu'une manière de gérer un héritage.

Les oeuvres plus récentes, moins explicitement liées au modèle traditionnel de l'abécédaire, traitent elles aussi d'une tradition : celle du modernisme, dont Reichek se dit, de par sa formation, être toute imprégnée. Reichek fait la part des choses, rend hommage aux grands modernes - mais jamais sans une pointe d'ironie - et tente ainsi, par le biais d'une activité toute domestique, de s'engager dans un dialogue avec le passé et le monde alentour.

 

Un catalogue illustré comportant des textes de Lynne Cooke et d'Elaine Reichek accompagne l'exposition.