Niki
Stylianou ou l’obsession de l’arbre
Arbre de lumière, Technique mixte de plâtre, En ces temps de trop plein technologique et
de catastrophes écologiques, la figure de l’arbre
revient dans l’art, insistante, des arbres morts à qui
l’artiste offre une nouvelle vie – arbre sculpté par
Armand Vaillancourt dans une rue de Montréal, arbres
calcinés recueillis par Frans Krajcberg
et troncs d’arbres creusés par Giuseppe Penone - aux
jardins numériques interactifs luxuriants d’un Miguel
Chevalier sur les traces du Douanier Rousseau
et de Séraphine de Senlis. Alain Corbin, dans son
ouvrage au titre suggestif : La Douceur de
l’ombre, paru il y a peu, observe, à la fin du
XXe siècle et au début du XXIe, « un retour à
l’obsession biographique du végétal », après
l’abstraction et le choix du modernisme du XXe siècle.
Si les artistes du Land Art intègrent leur œuvre dans
le paysage, d’autres le recréent. Ainsi, Niki Stylianou crée elle-même sa
forêt, à partir de la matière brute : argile,
cire, bronze, plâtre, encre, donnant vie à des
sculptures en haut et bas reliefs et des œuvres
picturales à l’encre ou évoquant le relief grâce à
l’épaisseur de la matière picturale. L’exploration de
la matière prend la forme d’un autoportrait végétal. Niki creuse le mystère de l’arbre, d’une
façon obsessive. Elle sonde son énigme en multipliant
ses représentations, expérimentant différents
supports, du bronze qui s’affirme dans son
enracinement et sa couleur de terre humide, au plâtre,
qui semble vouloir s’identifier aux nuages. Arbres sombres, lourds et arbres blancs,
délicats. « Arbres d’ombre », souterrains,
identifiés à leurs racines et « arbres de
lumière », invitant à l’élévation, à la
spiritualité. Et pourtant, noir et blanc, vie et mort
ne se confondent-ils pas dans le mythe grec du
peuplier, évoqué par Jacques Brosse dans son livre sur
la Mythologie des arbres ? Leukè,
poursuivie par Hadès, se transforme en peuplier blanc,
mais doit demeurer au seuil des Enfers, au bord du
fleuve de Mémoire, limite entre le Tartare, soumis à
Hadès et l’Elysée, séjour des bienheureux, gouverné
par Chronos. Le peuplier blanc est l’arbre de la mort
lumineuse, par opposition au peuplier noir, funeste.
Les « peupliers de lumière » de Niki ont-ils
gardé une trace de ce mythe ? Sont-ils imprégnés
du chant d’Homère, qui, selon Chateaubriand, chantait
ses vers sous le peuplier d’Hylé ? Niki a-t-elle
été inspirée par le bruissement lointain des feuilles
du chêne Velanède qu’interprétaient les prêtresses de
Dodone ? Traditions transmises d’une manière
peut-être inconsciente à une sculptrice parisienne aux
origines mêlées, traversée par l’hellénisme. La sacralité des arbres depuis la
préhistoire, leur force, leur énergie, leur invitation
à la verticalité, l’élan de l’arbre qui jaillit vers
le ciel, sont ressentis en profondeur par l’artiste,
imprégnée de spiritualité, portée par le travail du
souffle. L’arbre apparaît comme un reflet de
l’artiste, un double démultiplié, qui esquisse, entre
enracinement et envol, une danse presque immobile,
traversé par les mouvements imperceptibles de la sève,
le frémissement du feuillage, murmure de silence.
Tiraillée entre pesanteur et légèreté, entre les
racines du bronze et l’envol du plâtre blanc, plus
insaisissable, plus libre, la sculptrice opère une
évolution dans son travail, de la pesanteur terrestre
du bronze, matière où s’imprime sa main, à la
souplesse du plâtre, où le geste, rapide, perd un peu
de sa maîtrise pour gagner en grâce. Forêt d’arbres, multitude de facettes de soi
en communion avec le monde, retour à une nature
intégrée, intériorisée, où l’union avec l’autre est
entremêlement, où la lumière se fait le temps d’une
valse, où le souffle réunit tous les règnes, les
veines des feuilles devenant artères, fusion de sève
et de sang dans le corps qui se fait arbre, dans
l’arbre qui accueille notre soif de sacré. On se
souvient de Rilke, de l’enchantement né de la
communion avec l’arbre : « C’était comme si, de
l’intérieur de l’arbre, des vibrations presque
imperceptibles avaient passé en lui. » L’arbre
invite à la méditation – c’est à l’abri d’un banyan
que le Bouddha Sakyamuni atteint l’éveil - et
l’harmonie suscitée par la relation avec l’arbre peut
conduire à l’identification au végétal, au désir de
devenir arbre, que l’on retrouve dans les textes de
Thoreau et l’œuvre et les écrits de Matisse.
D’ailleurs, comme le déclare Goethe : « En
tout être humain se tapit une plante
originelle. » Dans ses œuvres plus récentes, toujours vers
une plus grande épuration, Niki Stylianou délaisse les
trois dimensions pour la peinture en relief, et
finalement aboutit à l’encre de Chine, tentation de
l’abstraction, calligraphie sans signifié, pur geste.
L’arbre s’efface, intériorisé par l’artiste, pour
devenir signe, rêverie cosmique. Anguéliki Garidis
Peupliers de lumière
D'une coulée de lumière, 195 x 97 cm, Technique mixte acrylique
Arbre cosmique
Souffle d'Orient, 130 x 130 cm, Technique mixte et acrylique
site web: www.nikistylianou.com |