« Rose révolution »

Par une froide matinée de novembre, accueillis par un café bien chaud et des biscuits roses, nous déambulons dans le rose, parmi ses 50 nuances, sur les deux étages de l’espace d’exposition qui lui est consacré.

La fleur et sa couleur, rose bonbon, rose bébé, rose fillette, garde la mémoire du triangle et de l’étoile rose des camps de concentration, pour donner à voir le rose sous toutes ses facettes, naïve ou provocante, subversive et transgressive.

Kévin Bideaux, commissaire de l’exposition, a proposé à des artistes venus de tous les horizons de s’associer à sa quête intime et éminemment engagée, travaillant le rose sur sa propre peau, tatouages et piercing s’associant pour transformer son corps en rose, avec ses multiples pétales de douceur et ses épines. Art militant, où l’artiste sacrifie son corps à l’art, devient œuvre d’art dans sa chair-même, s’offrant sur l’autel de la consommation et de la marchandisation pour mieux le détourner et inviter à voir.


Kévin Bideaux, Suicide Girls, 2018 (photo. © A. Garidis)

Le corps se déploie, sous toutes ses formes. Au choc de « Raw meat », de Salamandra, clin d’œil provocateur et macabre à « L’Origine du monde » de Courbet, dénonçant la réification du corps féminin, vient se juxtaposer la délicatesse minimaliste du « corps végétal » de Valérie Agneray, où «l’écartèlement» n’est évoqué que par quelques traits transperçant une forme ovale.


                                                                                                Valérie Agneray, Ecartèlement, 2017 (Photo. © Valérie Agneray)


Corps charcuté, corps sublimé ou symbolique, comme les sexes féminins porte-monnaie de Suzanna Scott. Corps différent, hermaphrodite, hypersexué ou au-delà du sexe, corps torturé, corps jouissant ou corps cherchant à guérir, des toilettes tapissées de petits mots douloureux ou rêveurs, comme un hommage à Duchamp, dans l’installation de Natacha Guiller, à la coupe d’un intestin poreux, tableau hésitant entre la figuration et l’abstraction, créé avec des gélules de médicaments par Barbara Fulneau.


Barbara Fulneau, Porosity - Leaky Landscape, 2018 (Photo. © A. Garidis)


La chapelle proposée par Azel, vouée au culte de Sainte Dolly, la sainte des sex toys et des poupées gonflables, accueille le visiteur avec son prie-Dieu, tournant le dos à l’écran des rêves pour se consacrer à la bouche béante de la sainte, rejoignant ainsi le culte antique des prostituées sacrées. L’Eglise qui se prostitue, le Sexe sacralisé, ou un grand rire rose transgressif.


                                                                                                            Azel, Sainte Dolly, 2018 (Photo. © A. Garidis)


Le Narcisse rose au plus intime du corps (le gland du pénis d’Olivier Thuillier, sa « part de féminité » devient tableau abstrait, monochrome, détournant les conventions, le rose attribué aux filles devenant l’emblème des garçons, exposant ce qui est caché pour le rendre encore plus secret, le bleu Klein se muant en rose Thuillier) rejoint la lutte sociale, à travers les mouvements féministes et queer. Les cordes roses couvertes de paillettes des « Suicide girls » de Kévin Bideaux pourraient être celles auxquelles sont pendus les condamnés à mort en raison de leurs désirs.


                                                                                                                        Olivier Thuillier, Ma part de féminité, 2018


Renversement des conventions, détournement de stéréotypes, encore, avec les cousus de FullMano, la couture, conventionnellement pratique féminine, devenant ici un moyen d’expression pour illustrer une scène érotique gay. Double retournement des codes, puisque les trois partenaires sexuels ne sont autres que les trois petits cochons roses du célèbre conte.


                                                                                                        FullMano, Les 3 petits cochons, 2016 (Photo. © FullMano)


Provocation parfois, mais surtout reconstruction du sens à travers les sens, réhabilitation du rose et de sa fadeur sucrée dans un art multiforme et engagé, cette riche exposition trop vite achevée pourrait être évoquée à travers d’autres œuvres encore. Ce sera, espérons-le, lors d’une prochaine présentation au public.

Anguéliki Garidis (agaridis@hotmail.com)

Novembre 2018.
A propos de l’exposition « 50 nuances de rose », au 59 RIVOLI, 59 rue de Rivoli, Paris 1er.


Madison Ryckman, Les danseuses, 2018 (Photo. © A. Garidis)



Chloé Coislier, Enfer Rose, 2018 (Photo. © A. Garidis)



Natacha Guiller, SNG Water Project, installation in situ, 2018 (Photo. © Simon Petit-Fort)



Suzanna Scott, Pink Coin Cunt, 2018 (Photo. © A. Garidis)



Simon Petit-Fort, Home, 2018 (Photo. © A. Garidis)