Nestoras, Gravures
d’un temps de guerre © Nestoras, Monotype 1956-8 Je regarde, encore et encore, des gravures
de Nestoras, datant d’un temps d’avant les
ordinateurs, précédant sa recherche inlassable des
variations de couleurs et de formes à travers les
nouvelles technologies en constante évolution. Ici
prévaut le noir et blanc, et la figure humaine est
explorée dans la souffrance des années de guerre et de
guerre civile. Nul soldat n’apparaît, aucun mort n’est
représenté, mais les visages tourmentés évoquent la
famine, la douleur et la peur de cette période où
Nestoras, tout jeune homme, encore adolescent,
découvre la face sombre du monde. Tandis qu’avance, avec son baluchon sur le
dos, un homme, tel la misère cherchant son chemin sur
les décombres de l’histoire, des silhouettes sans
visage semblent le regarder passer, rassemblées,
pleureuses psalmodiant le désespoir d’une époque
martyrisée. Se confondant avec un nuage, une tête de
loup se devine derrière la tête de l’homme qui marche,
rappelant le double visage d’Hermès, comme son esprit
animal. La gueule du loup semble tournée vers le
passé, tandis que l’avenir est noir et sans visage.
L’animal regarde vers un passé immémorial, et le futur
de l’homme s’esquisse, entre désespoir et folie. Quand la faim devient obsédante, l’homme
redevient animal. Sur une autre gravure, apparaît un
homme au visage d’ombre dont le corps perd ses
contours. Ses doigts sont devenus des griffes, ses
pieds et ses mains sont ceux d’une bête. Loup garou
des ténèbres de l’histoire, son visage est déformé,
son menton descendant sur sa poitrine en un cri
retenu. © Nestoras A moitié effacés, les êtres humains n’ont
plus d’identité. Des silhouettes aux contours flous,
comme délavées, diluées, de plus en plus abstraites,
aux visages décomposés, sont happés par le vide. La
folie latente surgit du malheur, de la cruauté folle
des événements vécus, des scènes vues. Visage creusé avec des yeux comme des puits,
visage-cri, silhouettes-ombres. Les faces s’effacent,
se fondent dans la douleur d’une époque où l’espérance
et le désespoir se débattent dans cesse au fond des
êtres. Visages-masques, visages-paysages, sans traits,
déformés, torturés, en lambeaux, assistant à leur
dissolution. Visages de la famine et de la peur.
Visage-ectoplasme, dessiné sur un ciel sans étoiles.
Découpés, déchirés, morcelés, fragmentés, décomposés,
éclatés, les hommes perdent leur identité dans la
démence de l’histoire qui avance sans se retourner, ne
laissant derrière elle que ruines et doutes. Peu à peu le réalisme laisse la place à
l’abstraction, l’expressionnisme mélancolique devient
fuite devant un trop plein de réel. La ville aussi est sombre, les façades
trouées de fenêtres noires, comme des yeux aveugles,
tandis que des silhouettes passent, tenant leur
parapluie à la main, dans une gravure, tandis que dans
une autre, une silhouette immense recouvre la ville
comme une chape de plomb, inquiétante, effrayante,
s’insinuant dans les rues, les places et les esprits. Pourtant, au milieu des images de la
douleur, apparaît la forme d’une maison avec une lueur
derrière la fenêtre et un toit lumineux, comme une
pyramide : espoir d’un futur ou d’un ailleurs où
perce la lumière, où un havre de paix semble possible. Anguéliki Garidis
© Nestoras, Monotype
© Nestoras, Monotype, 1941 © Nestoras, Monotype © Nestoras, Monotype © Nestoras, Monotype © Nestoras, Monotype
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