Miltos Garidis dans l'atelier de sculpture de René
Collamarini
à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris
La tête sculptée, à gauche est celle André Kédros
("Gil"), auteur
d'une Histoire de la Résistance en Grèce ainsi que de
nombreux romans.
Miltos
Garidis
sculptures
Miltos Garidis, marbre.
Il y a des jours où il fait si gris à
l’intérieur de moi qu’il me prend l’envie de me mettre
en boule et de me cacher le visage, recroquevillée comme
cette sculpture de mon père qui m’accueille tous les
jours dans l’entrée, discrète, œuf de marbre renfermé
sur sa peine, corps replié sur lui-même.
Dans le salon, le visage de mon père, jeune, à peine
arrivé à Paris après des années de prison, le crâne
bosselé par les coups, observe de biais son propre
visage vieilli qui le fixe, quelques décennies plus
tard, d’un regard triste et sévère. Les yeux de plâtre
croisent la photographie collée sur la vitre de la
bibliothèque et s’interrogent sur leur destin. Du corps
de chair qui ne méritait pas qu’on s’y attache trop,
comme lui-même l’affirmait, affrontant des opérations
chirurgicales dangereuses et avant de succomber à la
dernière intervention, du corps de chair, que reste-t-il
? Des portraits dessinés, peints, sculptés,
photographiés, caricaturés, comme si chaque artiste
rencontré avait voulu garder une trace de ce visage
étrange, blessé, décalé, qui dès l’enfance fixait son
regard triste sur le monde.
De la tendresse de mon père, si retenue au quotidien,
demeure une étreinte sculptée dans la pierre, usée par
l’habitude. Un couple agenouillé, d’une douceur intense,
avec des gestes délicats qui n’osent s’affirmer, s’offre
au regard des visiteurs entrant dans notre maison.
Miltos Garidis, "Tendresse".
Dans la prison, à la suite de la guerre civile, en
Grèce, mon père, cabossé par l’histoire, s’accrochait à
la réalité, s’appliquait à la saisir telle qu’elle lui
apparaissait, avec les matériaux qui l’entouraient. S’il
ne pouvait sculpter la pierre ou modeler l’argile, un
peu de mie de pain volée sur son dîner lui offrait la
matière pour faire surgir un petit homme, un animal, une
scène familière. Quelques figurines, à moitié
décomposées, sont sauvegardées dans la bibliothèque, à
côté des pièces antiques et des morceaux de sculpture
trouvés au cours des années sur les chemins caillouteux,
gardiens d’une mémoire qui refuse de se laisser
ensevelir.
Des visages, connus et inconnus, sculptés dans le marbre
ou restés à l’état d’ébauche, moulés dans le plâtre,
sont exhibés comme des têtes coupées en haut des
armoires, sur les bibliothèques. Tous ces visages qui
manquent aussi, têtes récupérées par chaque prisonnier
libéré, revenant chez lui avec un lourd souvenir
enveloppé dans un drap, unique portrait peut-être de ces
paysans illettrés, de ces ouvriers arrachés à leur
fabrique pour des années d’enfermement.
De ses sculptures de jeunesse, avant que mon père, happé
par la vie, ne bifurque vers d’autres sentes, garder
quelques traces.
Anguéliki
Garidis
Miltos Garidis
Miltos Garidis
Portraits de détenus, d'amis, de parents...
Miltos Garidis
Buste de Mitsos Barbaressos,
Prisons d'Egine, 1953-55
Miltos Garidis
A gauche : buste d'un co-détenu aux inititiales
F.V. (Prison de Corfu, 1954)
A droite : buste
de Kostas Garidis
(mon grand-père)
Miltos
Garidis, Buste d'Anguéliki (Kiki)
Garidi (ma grand-mère)
Miltos Garidis, Buste de Manda
Garidi, ma tante
Miltos Garidis,
Portrait de Periklis Papakostas, co-détenu.
Miltos
Garidis, Buste de Carl Sriber
Miltos Garidis, Buste d'Alekos
Boufidis
Miltos Garidis,
Buste de Nestoras Papanikolopoulos, peintre et
sculpteur.