Commencée il y a plus
d’un demi-siècle, l’œuvre plastique de Yannis
Haïnis, né en 1930, est intimement liée à son
action politique et éducative, et toujours pensée en
relation intrinsèque avec l’homme et la
société.
Pendant l'occupation allemande, à Athènes,
il est intitié à l'art par son maître, le
peintre originaire de Smyrne Nikos Kartsonakis-Nakis. Avec le peintre
Moralis, sous la direction duquel il a
étudié après la guerre, avant de suivre des cours
aux Beaux-arts de Paris, à la Grande
Chaumière et dans l’atelier d’André Lhote, il
a en commun le goût pour une représentation de la figure
humaine aux formes schématiques, grands aplats qui ne sont pas
sans évoquer les collages de Matisse, mais qui rappellent
également certaines figures pariétales, comme ces
silhouettes millénaires gravées sur les parois de roches,
dans le désert saharien. Les chasseurs du Paléolithique
et les pasteurs du Néolithique deviennent ici guerriers,
révolutionnaires à la main levée, tenant fusils et
drapeaux rougeoyants, tandis que les visages
s’élèvent vers le ciel comme un cri, dans un pays
dévasté par la guerre civile et où les dictatures
se succèdent.
Parallèlement à ces tableaux où la figure humaine
et les lignes courbes prédominent, traversées par une
énergie première, Yannis Haïnis développe une
œuvre caractérisée par l’abstraction
géométrique, à plat ou en volume, plans
tracés dans l’espace, où l’on perçoit
une affinité avec l’esprit du Bauhaus. Monde de signes,
qui semblent s’inspirer des réseaux électriques,
des tuyaux hydrauliques, des plans d’immeubles et de villes.
Formes, couleurs, chiffres et lettres se partagent une
signalétique du monde. Les œuvres, toujours de très
grandes dimensions, pourraient s’inscrire dans la trame urbaine
comme un miroir interne, selon le désir de l’artiste et sa
vision de l’art, qui devrait selon lui être
intégré à la cité, devenir le bien commun
de tous les citoyens, plutôt qu’un objet marchand
enfermé dans le réseau des galeries.
Cette conception d’un art que les citoyens devraient avoir la
possibilité de s’approprier, Yannis Haïnis l’a
également nourrie par sa pratique culturelle et
éducative, ainsi que par son travail théorique. Yannis
Haïnis a créé en 1954 la revue d’art
Επιθεώρηση Τέχνης
à laquelle de nombreux artistes et théoriciens ont
contribué, essayant de combler le vide culturel dû
à la situation fragile d’un pays ravagé par
la guerre et la guerre civile, où un grand nombre
d’intellectuels et d’artistes se trouvaient en prison ou en
exil. Essayant de se démarquer de la ligne politique et
culturelle du Parti Communiste, refusant le réalisme socialiste
tout comme la marchandisation de l’art dans un monde soumis
à l’idéologie capitaliste, la revue a
été publiée jusqu’en 1967, date du coup
d’état de la junte des colonels. Yannis Haïnis a
continué son action politique à Paris avec le Front des
Artistes Plasticiens aux côtés de Jean Clair, Ben,
Morellet, Boltanski, Viallat, Reynaud, Fromanger, et La Vigne.
Dans son désir d’éducation esthétique des
citoyens grecs, Yannis Haïnis, parallèlement à la
création d’une revue, avait également
constitué en 1961 un groupe d’artistes et de
théoriciens, nommé "groupe d’art
α" (
ομάδα τέχνης α),
avec des artistes soucieux de l’éducation artistique
de leurs concitoyens, tels K. Klouvatos, D. Kokkinidis, Kosmas
Xenakis, Eleni Vernadaki,
Nestoras Papanikolopoulos, Sarafianos, G.
Maltezos, E. Freris, V. Dimitreas et Clio Bostantzoglou-Tripou, groupe
auquel ont participé par la suite d’autres artistes, tels
Vasso Katraki, P. Tsetis, Y. Psychopedis, etc. Le groupe organisait
dans les banlieues des grandes villes et en province, dans des lieux
où le public n’avait pas d’accès à la
culture, des expositions accompagnées de séries de
conférences sur l’histoire de l’art, ainsi que sur
la pratique de l’art, sur les couleurs, les formes et les techniques.
Ouvriers et paysans, le plus souvent illettrés, étaient
invités à suivre les cours et à débattre
longuement avec les artistes et les théoriciens. Les actions du "groupe d’art
α"
ainsi ont joué un rôle pionnier pour
la diffusion de la culture auprès d'une population de milieux
modestes, vivant à l'écart de la capitale où les
activités culturelles étaient surtout concentrées
à l'époque.
C’est cette œuvre développée en marge des
réseaux commerciaux de l’art et dans un souci
permanent d’engagement, que le Centre Culturel de Nea Ionia,
à Volos, présente exceptionnellement du 15 juin au 29
juillet 2013, à l’occasion d’une exposition
rétrospective, organisée par Fondation Porphyrogenis. Commissaire de l'exposition : Vassia Karabellia.
Anguéliki Garidis
© Yannis Haïnis 2,40x1,60 m, sur bois, 1988
© Yannis Haïnis 1970-73
© Yannis Haïnis 1,85x1,50 m, acrylique, 1970
© Yannis Haïnis 2,10x1,55 m, bois, 1970
© Yannis Haïnis 2,56x1,82 m 1981
© Yannis Haïnis 1,02x0,73 m, feutre sur papier, 1960
© Yannis Haïnis 3,64x2,54 m, composition, acrylique, 2002
© Yannis Haïnis 2,53x2,02
m, composition, acrylique, 2005
© Yannis Haïnis 2,28x3,42 m, composition, acrylique, 2008
© Yannis Haïnis 3,00x1,90 m, composition, acrylique, 2003
© Yannis Haïnis 4,40x2,06 m, composition, acrylique, 2007
© Yannis Haïnis 4,00x2,20 m, contre-plaqué, acrylique, 1999
© Yannis Haïnis 2,20x2,20 m, composition, bois, huile, 1995
© Yannis Haïnis
© Yannis Haïnis
© Yannis Haïnis