Devant les tableaux de Ghasem Hajizadeh dont une
rétrospective a été proposée au public
parisien à la galerie Claire Corcia, le visiteur est surpris par
le va-et-vient subtil entre le dit et le non-dit, par l'énigme
proposée par le peintre, d'un tableau à l'autre,
alternant la pudeur et l'exhibition, la subtilité et le
grotesque dans des oeuvres complexes, difficiles à cerner,
d'autant plus pour un public occidental souvent ignorant des
sous-entendus culturels et historiques.
L'artiste s'inspire de la peinture iranienne de style Qajar, du XIXe siècle, de peintures murales de style populaire dont il s'approprie parfois le style suranné, de portraits de la famille princière, de photographies anciennes piochées ça et là dans sa quête de la mémoire de son pays - Perse devenue Iran, où deux mondes s'affrontent - y intégrant les styles et l'imaginaire apportés par ses pays d'adoption : Pop-art, bande-dessinée, langue japonaise ou anglaise faisant signe, à côté des marques énigmatiques, croix, cercles, signatures discrètes et mystérieuses nous invitant peut-être à réfléchir sur ce qui se révèle et sur ce qui est gardé secret. Sont évoquées les richesses de l'Iran, son pays natal quitté depuis bientôt trente ans, le pétrole qui enrichit et assoupit trop souvent les esprits. Dans le tableau intitulé "Fille égyptienne", les drapeaux américain et iranien voilent le visage d'une femme en tchador, entourée de femmes au corps et au visage voilé, masses informes aux pieds vissés sur des machines de pompage qui "pompent" leur énergie, usurpant leur visage et leur liberté. L'Amérique est dénoncée dans son impérialisme, mais plainte aussi, lorsqu'un homme au visage triste, les yeux cernés de bleu, regarde dans le vague, Superman impuissant, tandis que deux cibles, deux cercles rouges sont dessinés sur son vêtement et que des lambeaux de chair tombent, à peine perceptibles et qu'un avion, au loin, se dirige vers la statue de la liberté, presque effacée. "I love New-York" dit en silence, dans une bulle s'échappant de ses lèvres scellées, le super-héros désenchanté, dans un hommage discret aux victimes du 11 septembre 2001. Pourtant ce qui se donne le plus à voir et à sentir le plus souvent, ce sont les regrets du peintre devant l'image d'un pays disparu, d'une culture niée, effacée par le temps et les lois du pouvoir. Des paysages s'inscrivent dans les corps, dans un élan nostalgique, poitrine trouée par un lac ou une mer paisible. Dans le tableau "Cérémonie", des musiciens Qajar s'échappent du ventre d'une femme au corps supplicié, femme qui revient dans l'oeuvre, d'une scène à l'autre, où les différentes étapes sont simultanément évoquées, comme dans une bande-dessinée aux réminiscences égyptiennes, où la modernité côtoie l'antiquité. Un symbole ancien se répète aussi, tableau après tableau, celui du lion derrière lequel émerge un soleil rayonnant au visage féminin, rappelant l'ordre du lion et du soleil, décoration honorifique perse, de la dynastie Qajar, et surtout le lion solaire, emblème de l'Iran, motif central du drapeau iranien du XVIe siècle jusqu'à la Révolution islamique. Et ne peut-on y voir aussi un souvenir du zoroastrisme, où la lumière et le Bien sont associés dans le culte du feu? Peintre subversif, Ghasem Hajizadeh réussit, par les collages qui offrent une profondeur, par le foisonnement des formes et des couleurs, à se glisser entre les lois, en compagnie des travestis qui se réunissent, se marient comme en plein jour dans la nuit des appartements, à l'insu des lois criminelles. Téhéran occulte ou nostalgique? A quelle vérité se résoudre dans ce jeu de cache-cache où tout est dit, où tout est dissimulé? Anguéliki Garidis |