| Maria Klonaris,
                      chamane angélique  © Klonaris/Thomadaki Six jours après la mort de Maria, il y a
                  tout juste trois ans, j’ai fait un rêve lumineux où
                  elle m’est apparue dans une nuée rose, mauve, d’azur
                  mêlée, sourire épanoui transporté par des voiles. Elle
                  flottait, volait vers moi, et je ne voyais que son
                  sourire heureux et ses yeux pétillants. Au réveil, son
                  absence était plus légère et sa présence en rêve avait
                  été si forte qu’elle m’a semblé vivante à jamais. Elle
                  était partie pour un voyage dans un ailleurs, comme
                  dans ses films. Elle serait présente autrement, à
                  travers son œuvre.  Le rêve est resté très net dans ma mémoire
                  et, il y a peu de temps, lisant des passages du Bardo
                    thödol, du « Livre des morts » des
                  Tibétains – le bardo signifiant l’intervalle,
                  l’état intermédiaire, entre la vie et la mort, la
                  veille et le rêve -, je me suis aperçue que le moment
                  où j’avais rêvé de Maria correspondait à une étape du
                  Bardo. D’après la pensée tibétaine, il existe
                  trois bardos entre la vie et la mort, qui durent 49
                  jours en tout. Le premier bardo, de quatre
                  jours, où soit l’on reconnait la Claire Lumière
                  primordiale, et l’on est libéré, soit on la craint, et
                  surgit la Claire Lumière secondaire. Ensuite survient
                  le deuxième bardo, avec successivement, sept
                  jours d’apparition de divinités paisibles, puis sept
                  jours d’apparition de divinités irritées. Mon rêve
                  correspondait exactement à l’apparition des divinités
                  paisibles, qui créent au sixième jour un mandala avec
                  leurs 42 présences, dans la « splendide lumière
                  bleue de la sagesse. » Je ne connaissais pas ces textes, et
                  pourtant j’ai rêvé de Maria s’envolant dans le monde
                  des divinités paisibles. Je me souvenais que Maria
                  s’intéressait, entre autres, au Tibet, et que
                  l’immolation des moines révoltés la touchait
                  particulièrement, mais je n’en savais pas plus. Cette
                  rencontre rêvée restera un mystère qui continue de me
                  porter, moi qui me prétends dénuée de croyances.  Visionnant, au printemps dernier, lors d’une
                  rétrospective de l’œuvre cinématographique de Maria
                  Klonaris et Katerina Thomadaki au musée du Jeu de
                  Paume, quelques films que je n’avais encore jamais
                  vus, je me suis rendu compte que la mort travaillait
                  leurs films, et plus encore ceux où la touche de Maria
                  était plus prégnante. La mort, mais aussi, plus
                  généralement, le passage. Figures chamaniques,
                  hermaphrodites et angéliques apparaissent pour
                  signifier le passage, l’état intermédiaire entre la
                  veille et le rêve ou le rêve éveillé, entre les sexes,
                  entre la vie et la mort.  © Klonaris/Thomadaki 
 
 Voyage au pays des sens Kha. Les Embaumées  Maria Klonaris dans Kha.
                    Les Embaumées ©
                  Klonaris/Thomadaki Nourrie de culture égyptienne – pays de son
                  enfance – Maria s’intéresse aux rites liés à la mort,
                  qui imprègnent cette civilisation. Kha. Les
                    Embaumées, film du Cycle de l’Unheimlich
                  signé exceptionnellement par Maria seule, du nom de ce
                  double éthérique pensé par les anciens Egyptiens, est
                  « autobiographique et de manière étrange »,
                  selon Maria Klonaris elle-même. Déjà, de par son titre
                  même, puisque Maria signait ses poèmes du pseudonyme
                  Em Kha, ses initiales légèrement modifiées avec
                  l’expiration du kh à la place du k - expirer, en
                  français, signifie d’ailleurs aussi mourir – et qu’ici
                  le Em est inscrit dans les « embaumées ». Kha. Les Embaumées, « chant de
                  réconciliation avec l’idée de la mort » explore
                  la mort et ses rituels - les rites personnels des
                  artistes se mêlant intimement aux rites millénaires
                  revivifiés, réactualisés, réinventés - tout comme la
                  vie, à travers la sensualité des corps. Des noms de
                  parfums sont égrenés dans le film, incrustés dans la
                  pellicule. A l’époque de sa sortie, au début des
                  années 80, de l’encens était diffusé dans la salle de
                  projection et le spectateur était ainsi immergé dans
                  l’univers de Maria, plongé dans le silence, la vue et
                  l’odorat en éveil. « J’utilise les odeurs comme
                  un stimulus d’altération de la perception – stimulus
                  mental- sensoriel – sensuel » écrit Maria,
                  rejoignant les pratiques d’initiation. Voyage à
                  travers les sens pour laisser advenir d’autres
                  dimensions d’être. Sens doublement sollicités puisque,
                  avant la projection, raconte Katerina, Maria
                  esquissait une danse avec ses mains, tenant des
                  bâtonnets d’encens, théâtre d’ombres improvisé devant
                  le faisceau lumineux et projeté sur l’écran blanc –
                  rituel restitué par Katerina dans le générique du la
                  version restaurée du film.[1] Évoquant l’encens, je me souviens de mes
                  visites chez Maria et Katerina. J’étais toujours
                  accueillie par la fumée et le parfum de l’encens et du
                  papier d’Arménie, tandis que Maria trônait, souriante,
                  assise en tailleur sur le canapé, telle un bouddha que
                  je venais timidement saluer. « Avant de naître, l’enfant a vécu et
                  la mort ne termine rien » dit le « Livre des
                  morts » des Égyptiens. La figure de l’enfant est
                  montrée dans son rapport à la vie et à la mort,
                  inexorablement liées. Un squelette flotte dans un
                  récipient rempli d’eau comme un embryon dans le
                  liquide amniotique, tandis qu’un sphinx démultiplié
                  par le spectre lumineux se fait mémoire, dépositaire
                  du passé, de l’enfance qui revient dans une ronde
                  kaléidoscopique où se révèle l’éclat des pierres
                  précieuses.  Un mannequin d’enfant doté d’ailes, serti
                  d’or, scintillement d’étoiles, joue avec l’ombre et la
                  lumière, tandis que les parfums l’enveloppent, nommés,
                  inscrits sur la pellicule, scandés à défaut d’être
                  humés : cèdre, jasmin, basilic, myrrhe, myrte,
                  lotus, jacinthe, santal, styrax… Noms et images se
                  répondent, les noms de parfums invoquent la danse d’un
                  ange et la lumière crée un halo dans la chevelure de
                  Mylène, actante au visage androgyne s’avançant dans sa
                  robe blanche.  La tête couverte d’un voile blanc, Maria la
                  célébrante porte dans ses mains gantées le squelette
                  flottant dans les eaux de sa renaissance. Un minuscule
                  baigneur, dans le ventre du squelette, invite à la vie
                  par-delà la mort. Le squelette tourne sur lui-même,
                  danse, pour renaître autre, à l’image de Maria,
                  derviche au féminin, tandis que les noms de parfums
                  sont égrenés, comme une litanie : safran, musc,
                  palmarosa, lilium, sycomore. Katerina nue derrière un
                  rideau transparent, qui la cache et la dévoile,
                  ondule, répondant à la danse de Maria. Maria et Katerina se répondent en miroir,
                  puis Maria s’élance dans une danse effrénée qui
                  s’accomplit dans la splendeur d’une fleur lumineuse
                  éclatée ou dans la perfection d’un œuf primordial
                  démultiplié par le spectre lumineux. Les corps se
                  transforment, se diluent, deviennent pure lumière. Unheimlich III. Les Mères 
  Maria Klonaris dans Unheimlich
                    III : Les Mères ©
                  Klonaris/Thomadaki A l’espace nocturne de Kha, répond
                  l’espace diurne des Mères, où la chaleur d’un
                  après-midi d’août, perturbant les corps, nous fait
                  basculer dans un autre univers. Je n’ai vu des Mères que le film,
                  et du film que la première des trois parties[2],
                  mais à l’origine, il avait été présenté dans le cadre
                  d’une performance de cinéma élargi (au Centre
                  Pompidou, en 1981), à l’aide de paravents, de
                  faisceaux lumineux qui se croisaient et de jeux de
                  miroirs, reflets, brillances, éclats, qui faisaient
                  écho aux images du film. Les images projetées étaient
                  ainsi déconstruites et les mouvements de la
                  performance synchronisés avec ceux du film. La violence de la bande-son contribue à
                  l’immersion du spectateur. Le film commence par un
                  fracas, des objets se cassent dans le réel comme pour
                  laisser advenir l’étrange, puis une musique métallique
                  accompagne la vision d’un paysage à perte de vue, au
                  crépuscule. Le soleil embrase le ciel. Deux voix,
                  celles de Maria et Katerina, deux langues, le grec et
                  le français, se répondent en écho. La
                  « Mitris », le pays de la mère, se déroule
                  sous nos yeux. Une maison en ruines apparaît,
                  solitaire, entourée d’oliviers, d’eucalyptus et de
                  cyprès, baignée dans une lumière éclatante qui semble
                  lui redonner vie. La caméra s’agite, tourne de tous
                  côtés, provoquant la perte des repères spatiaux. La
                  maison semble respirer, elle s’efface puis revient,
                  l’irréel s’engouffre dans des flashs de lumière. Des
                  sons stridents, lancinants, accompagnent le bruit du
                  vent dans les feuillages et nous transportent dans un
                  au-delà rêvé, qui préfigure la musique cosmique
                  accompagnant la vibration, la pulsation, l’explosion
                  de Pulsar et de Quasar, près de trente
                  ans plus tard. Une des actantes, Elia, se présente dans une
                  robe de dentelles blanches, d’abord sous le porche,
                  puis sur la véranda à ciel ouvert, comme un fantôme.
                  La silhouette de Katerina, le visage peint en blanc,
                  vêtue d’une robe noire, se découpe sur le ciel. Une
                  autre actante, Antonias, est accroupie à une fenêtre,
                  inquiétante, tel un oiseau de proie prêt à s’élancer. Les trois femmes, filmées par Maria,
                  évoluent dans la maison abandonnée. Les murs
                  s’effritent, s’écaillent et les fenêtres s’ouvrent,
                  béantes, dans la chair de la maison dépecée par le
                  temps, corps qui refuse de mourir. Dans les miroirs
                  oxydés posés çà et là, où semblent se dessiner des
                  constellations, surgit un autre monde. Présence
                  sauvage de la maison qui semble vibrer d’une vie
                  propre, indépendante, douée d’une énergie, d’une
                  force, d’une dynamique dépassant le lieu et le temps
                  où elle s’inscrit, être indompté qui a traversé les
                  années pour accueillir en elle les forces d’une époque
                  patinée par le mythe. Un passé immémorial revient, spectral,
                  fantomatique, à travers la triple déesse. Noir et
                  blanc des costumes, deuil et persistance de la vie, du
                  mythe. Les silhouettes immobiles comme des statues
                  et les visages fermés sur leur mystère, théâtre de
                  masques, théâtre antique, rappelant le Nô, autre
                  théâtre chthonien et sacré, sont filmés par la caméra
                  en mouvement constant, comme si deux temps
                  s’affrontaient, se confrontaient ou dialoguaient en
                  silence. Triade, comme les Moires, les Heures qui
                  filent la vie des hommes, dans un éternel retour des
                  âmes, les pythies prononcent des mots secrets, dans un
                  échange muet avec l’au-delà, tandis que les feuilles
                  des arbres murmurent des prophéties. Des femmes
                  modernes, contemporaines, prennent en main une
                  dimension mythique. Le passé se glisse dans le
                  présent, hante les lieux désertés par les humains et
                  se donne à voir à celles qui aspirent à le retrouver,
                  à vivre sa pérennité. « Où mène ce voyage ? »
                  répètent les voix de Maria et de Katerina, nous
                  entraînant vers un ailleurs, transformant le réel en
                  un jeu d’immobilité et de mouvement saccadé, effréné,
                  comme si la caméra entrait en transes pour nous
                  permettre le passage. Les actantes se meuvent
                  lentement, imperceptiblement, entre les arbres, parmi
                  les cyprès – si près… si loin.  Telle la déesse au serpent, Maria surgit
                  devant la porte, puis à une fenêtre. Voilée d’or,
                  toute puissante, magicienne, elle tient dans une main
                  un heurtoir – représentant un visage féminin, celui
                  d'Astarté, un croissant de lune sur son front, qui
                  évoque une porte s’ouvrant sur un autre monde - et
                  dans l’autre une statuette de femme ailée, comme une proue de bateau, qu’elle
                  tend vers le spectateur, comme un signe.  L’une des actantes, Elia, est enceinte, et
                  son ventre bombé chante en silence sa renaissance.
                  Elle apparaît le ventre et les seins nus, dans un
                  érotisme qui s’affirme là où le christianisme aurait
                  tendance à le nier. Une époque réinventée de liberté
                  se glisse dans les interstices du temps. Le mythe insiste, actualisé, ravivé, ancré
                  dans le sol aride de la Terre-Mère, entre racines et
                  envol.  Une autre actante, Antonias, grimpe dans un
                  arbre et tandis que la caméra se retourne, ce sont ses
                  racines qu’elle rejoint. Balançoire magique, sacrée.
                  L’arbre, figure chamanique par excellence, reliant la
                  terre et le ciel, est aussi très présent dans Selva,
                  portrait de Parvaneh Navaï mais également, en
                  filigrane, autoportrait de Maria à travers le regard
                  qu’elle pose sur l’actante, son double dans ce film.
                  La danse est d’ailleurs au cœur du film, dans la
                  forêt, en communion avec la nature, en relation avec
                  les éléments : l’eau, l’air, la terre, le bois et
                  le feu, associé à la transe du voyage, représenté par
                  un triangle qui brûle au-dessus de l’eau et s’y mire,
                  dialogue silencieux.  La danse des étoiles Pulsar  Maria Klonaris dans Pulsar ©
                  Klonaris/Thomadaki La danse de Maria dans Kha trouve
                  son apothéose dans Pulsar, où Maria lance les
                  bras en avant, en extase, dans un mouvement aux
                  accents apotropaïques. Elle semble jeter sur le
                  spectateur une énergie de feu, devenant elle-même feu
                  d’artifice dans le va-et-vient incessant des images.
                  Dans la violence sauvage de ses gestes, de son regard,
                  c’est Lilith qui surgit, force démoniaque et
                  indomptée, puissance féminine possédée, hors normes,
                  échappée des lois patriarcales, lumineuse et obscure.
                   Projetée dans le Tout Autre, dépassant la
                  matière, elle est emportée dans la ronde des astres et
                  devient étoile, sa danse à la puissance chamanique se
                  confondant avec la danse cyclique de l’univers,
                  vibrant en communion avec le cosmos, à l’unisson avec
                  la pulsation de l’espace, explosant ou implosant pour
                  renaître Autre.  Le pulsar, rappelle Louis-José Lestocart,
                  est une « étoile à neutrons née par effondrement
                  d’une autre étoile ayant explosé en nova, qui crée une
                  intense émission électromagnétique »[3].
                  La transformation, la métamorphose, est donc à l’œuvre
                  ici, à travers la mort d’une étoile qui se transforme
                  en une autre. Et le négatif en bleu et blanc de la
                  vidéo renforce l’impression de retournement, de
                  passage de l’autre côté du réel. Dans les yeux de Maria, sur son visage, à
                  travers ses cheveux vus comme au microscope, le
                  microcosme rejoint le macrocosme. L’image se brise,
                  éclate, découpée en bandes, en carrés, en rectangles.
                  Le corps de Maria se déconstruit, devient abstrait. Tandis que bat le tambour dans des éclats
                  d’or, Maria, emportée par la transe, disparaît dans
                  l’écran blanc, scintillant, claire lumière
                  éblouissante qui l’accueille. Elle a traversé les
                  miroirs des Mères pour se fondre dans la pure
                  lumière.  La figure de Maria projetée dans l’espace
                  stellaire pourrait rappeler l’Adam Kadmon de la
                  Kabbale, immense forme humaine composée par les sefirot,
                  les réceptacles du divin, et surimposée à l’Arbre de
                  Vie. Je pense plus précisément à la théorie du Tikkun,
                  de la « Réparation », pensée par Isaac
                  Louria, où la lumière sortant du front de l’Adam
                  Kadmon parvient à restaurer l’univers, après la
                  « brisure des vases » qui a permis aux klippot,
                  aux « forces obscures », de se répandre sur
                  la terre. Tandis que dans Pulsar le corps de
                  Maria devient corps-univers, dans Quasar, les
                  yeux de Katerina rencontrent dans l’espace ceux de
                  Maria, condensé d’univers, regard d’étoile, retrouvant
                  la gémellité de leur création commune. Angel Scan 
  Maria Klonaris dans Angel
                    Scan ©
                  Klonaris/Thomadaki Inquiétante étrangeté du visage de Maria,
                  immobile comme un masque, les yeux dissimulés derrière
                  des lunettes noires, dans Angel Scan comme au
                  début de Pulsar, à l’image de l’hermaphrodite
                  aux yeux bandés qui traverse tout le Cycle de
                    l’Ange. Tirésias passé de l’autre côté du ciel,
                  l’Ange-Maria se désagrège, se fond dans l’univers
                  stellaire, et l’énigme du visage se confond avec le
                  mystère de l’univers. Du signe-signature, du mannequin ailé de Kha
                  à l’ange stellaire dans Pulsar, Quasar
                  ou Angel Scan, en passant par l’ange
                  hermaphrodite, témoin impuissant, dans Requiem
                    pour le XXe siècle, l’Ange est présent dans
                  toute l’œuvre de Klonaris /Thomadaki, à travers
                  ses multiples significations, intersexué ou par-delà
                  le sexe, témoin et passeur. Maria s’identifie à l’Ange, à son ange -
                  celui qu’elle a exploré avec Katerina pendant des
                  années, photographie clinique d’une hermaphrodite
                  transformée en figure mythique - pour accéder à
                  d’autres mondes, d’autres états de conscience et
                  d’existence. Voyage chamanique pour entrevoir sa mort
                  et l’apprivoiser, l’assimiler, et en rendre compte,
                  vivre en esprit la dissolution de son corps avant de le
                  réintégrer. Cette intimité avec d’autres dimensions
                  était cultivée par Maria dans sa vie même. Elle
                  voulait élargir l’existence, le champ de conscience,
                  effleurant ainsi des états en relation avec la mort. Après avoir célébré l’Ange, Maria le
                  devient, le passage de l’un à l’autre étant signifié
                  par le va-et-vient entre le visage de l’Ange et celui
                  de l’artiste, se décomposant dans des flashs de
                  lumière, se dématérialisant, fusionnant dans une image
                  presque abstraite. Une musique assourdissante, angoissante,
                  contribue aussi à agresser le spectateur et à le
                  provoquer. Là où les parfums de Kha conduisent
                  à un autre état, dans Angel Scan ce sont les
                  lumières vives et les sons qui se proposent comme voie
                  vers un ailleurs. Le sexe indéterminé, indécis, incertain et
                  qui pourtant s’affirme, de l’ange hermaphrodite,
                  devient au gré des surimpressions feu cosmique, sexe
                  solaire, tandis qu’autour de la pointe de ses seins
                  les poils deviennent couronne, halo de lumière. Ange
                  aérien ou fluide, dépassant la séparation rigide des
                  sexes tout comme il-elle traverse sans heurt les
                  frontières entre les mondes, à l’instar des chamanes. Le buste de Maria vibre et se transforme en
                  un scintillement éblouissant, comme le soleil
                  incandescent sur le buste de l’ange aux yeux bandés.
                  Un mouvement incessant se donne à voir dans
                  l’immobilité même, lorsque le microcosme rencontre
                  l’infiniment grand, la figure de l’Ange-Maria devenant
                  le lien, le lieu du passage. A force de contempler
                  l’ange et de le transformer, elle-il a été incorporé
                  par sa créatrice et l’initie à la mort, la prépare à
                  sa désintégration, sa dé-corporation. Redevenue
                  atomes, la figure de Maria est plongée dans la lumière
                  et devient corps
                  céleste – et les étoiles ne
                  sont-elles pas, dans de nombreuses traditions, les
                  âmes des morts ? Le visage de Maria se consume, devient feu,
                  or, argent, tandis que des transformations alchimiques
                  successives l’entrainent dans sa métamorphose. Il
                  devient fleur aux pétales de feu et au centre de la
                  fleur bat le cœur du monde, dans un océan d’or. Dans ce tourbillon flamboyant, l’œuvre opère
                  une boucle et retrouve ses origines, Kha
                  rejoignant Angel Scan, témoignage lumineux,
                  testament de vie de l’artiste. Anguéliki GARIDIS (janvier 2017) |