Biennale de Venise 2011, entre illuminations et
dépression
"Anonymus
stateless immigrants pavillons"
Disséminée à
travers la ville, où
pavillons nationaux - au nombre exceptionnel de 89 cette année -
et événements
collatéraux se partagent palais, églises et espaces
d’expositions variés, comme
l’Ancien Arsenal ou les Anciens Magasins de sel, la 54e
édition de
la Biennale de Venise se concentre tout particulièrement sur un
lieu :
Les Giardini.
I Giardini Le premier contact avec la Biennale
peut décevoir et questionner. Dans les Giardini, siège
traditionnel des pavillons
nationaux, a été installée, sous un grand
chapiteau, une exposition réunissant
un certain nombre d’artistes internationaux. A la lumière des
tableaux de
Tintoretto, présentés au centre de l’exposition, les
œuvres devaient répondre
au thème général de l’édition 2011 :
« ILLUMInations ». La
commissaire de l’exposition, Bice Curiger, jouant sur les mots et la
typographie, a voulu mettre l’accent sur les lumières
‘questionnantes’ de
l’art, ainsi que sur la notion de nations et de son dépassement
possible dans
ce cadre où les artistes portent traditionnellement les couleurs
de leur pays.
Maurizio Cattelan : pigeons (Exposition centrale, Giardini) Lorsqu’on pénètre, pourtant, dans l’exposition
centrale, accueillis par les
pigeons empaillés de Maurizio Cattelan qui semblent nous
observer d’un air
consterné du haut du chapiteau, c’est tout le contraire d’une
illumination
rimbaldienne qui nous est révélé, et l’on se
demande si c’est avec ironie que
la commissaire de l’exposition a évoqué une
« recherche du beau ». L’inquiétude
nous gagne devant ces illuminations sombres, parfois grotesques ou
morbides,
déprimantes et souvent vides de sens. Seules les vidéos
vénitiennes de
Pipilotti Rist apportent un peu de lumière et de couleur dans un
ensemble
plutôt terne. Un œil distrait s’attarde sur des enfants jouant
avec de la pâte à
modeler noire, rouge et blanche, proposée au visiteur pour
éveiller sa
créativité. Une mouche se reposant sur un mur me fait
douter un instant de sa
réalité artistique, avant de s’envoler, et une substance
dégoulinant sur le
bord d’une porte, comme en ‘hommage’ à Beuys, me fait fuir le
chapiteau
pour me retrouver face à un char retourné, sur
lequel une joggeuse musclée
et souriante court sur un tapis roulant avant d’être applaudie
par le public.
Nous sommes devant le pavillon américain, où la Statue de
la Liberté bronze
tranquillement dans un appareil à UV. Humour et
résistance des artistes Jennifer
Allora et Guillermo Colzadilla. J’hésite entre le sourire et
l’ennui.
Exposition centrale (Giardini)
Dans
de nombreux pavillons, la politique semble avoir pris le pas sur l’art,
sans
distance ni critique approfondie. Art conceptuel souvent au premier
degré et constitué
de slogans d’artistes « indignés » mais
superficiels, dénonçant la
guerre, les goulags (pavillons russe et serbe) ou la
société de consommation (pavillon
suisse, où la pauvreté du résultat ne semble pas
à la hauteur de l’ambition
intellectuelle et où les télévisions et les
télécommandes empaquetées dans du
papier collant laissent froids).
(Pavillon russe) (Pavillon suisse)
Le
pavillon égyptien choisit de se concentrer sur
l’actualité, mêlant les vidéos
de performances du jeune artiste Ahmed Basiony, tué pendant les
affrontements
de janvier et ses reportages sur les manifestations sur la place Tahir,
au
Caire.
Dans
le pavillon britannique, pour entrer dans l’installation conçue
par Mike Nelson,
le visiteur est invité à ne pas se cogner la tête
ni trébucher. Labyrinthe
poussiéreux, c’est le chaos des réfugiés qui
tentent en vain de fuir guerres et
catastrophes, qu’on nous propose de parcourir et peut-être de
vivre.
Mike Nelson (Pavillon de la Grande-Bretagne) Quant au pavillon allemand, il devient la chapelle ardente de son créateur, Christoph Schlingensief, mort pendant la réalisation du projet.
Des œuvres nous questionnent. Ainsi
l’installation de Christian Boltanski dans le pavillon français,
intitulée
« Chance ». Conçue sur le principe d’une
rotative de presse, la
construction centrale donne à voir – et à entendre, dans
un bruit métallique
infernal qui résonne jusque dans les autres pavillons – des
visages de bébés âgés
d’un jour seulement, au visage fripé, imprimés sur un
ruban qui ne cesse de
tourner, comme une roue du destin. Dans la salle du fond, des visages
de
vieillards s’ajoutent à ceux des bébés.
Coupés en trois, les morceaux de
visages s’associent, appelant le visiteur à participer à
l’action en appuyant
sur un bouton. S’il obtient un visage complet – cas très rare –
le participant
gagne l’œuvre. Hasard, vie et mort s’entremêlent ainsi dans cette
œuvre
« optimiste » selon les termes de l’artiste, mais
peut-on le croire
devant cette machine implacable, cette usine à
bébés envahissante, suffocante,
qui évoque plutôt une atmosphère concentrationnaire
qu’une vie heureuse
possible ?
Christian Boltanski (Pavillon français) Le pavillon autrichien de Markus Schinwald et son labyrinthe ponctué d’étranges formes abstraites et de portraits peints avec brio à la manière de l’Ecole Flamande, dont la bouche et parfois les yeux sont scellés par d’inquiétants appareils, les condamnant au silence, nous interpelle.
Certains pavillons pourtant, dans les Jardins ou dispersés dans le labyrinthe de la ville, présentent des œuvres moins sombres.
Dans
le pavillon japonais, le visiteur est immergé dans
l’installation multimédia de
la jeune artiste Tabaimo, combinant l’animation, dessinée avec
talent et
poésie, dans le genre des mangas populaires et projetée
sur des éléments
architecturaux, puits et murs évasés se muant en miroirs,
donnant au visiteur
l’impression de planer. Images de destruction et d’espoir,
passés en boucle,
provoquent chez le spectateur une perte de notion de l’espace et du
temps.
Le
pavillon Néo-Zélandais, isolé au fond d’une
impasse débouchant sur le Grand
Canal, apparaît comme un havre d’humour et d’harmonie dans
l’impression
générale de chaos et de destruction. Un taureau
installé sur un piano à queue par
l’artiste Michael Parekowhai
semble sourire et une excellente pianiste joue seule, pour quelques
rares
visiteurs.
Michael Parekowhai (Pavillon Néo-Zélandais)
Poésie
et nostalgie dans le pavillon tchèque, où Dominik Lang a
installé les plâtres
de son père, le sculpteur Jiri Lang, mort en 1996.
Dominik Lang (Pavillon tchèque) Vibrations lumineuses du tunnel de Zilvinas Kempinas dans le pavillon lithuanien, comme appel vers un ailleurs.
Deux pavillons paraissent porteurs d’espoir, au sein des Giardini, dans une conjoncture politique et sociale difficile : le pavillon israélien et celui de la Grèce, pays représentés par des femmes artistes. Sigalit Landau a installé dans le pavillon israélien des canalisations qui permettent de faire circuler l’eau de la lagune. Métaphore de la connaissance, de l’amour qui relie les êtres, l’eau peut geler, être empoisonnée ou s’assécher, devenir sculptures de sel, cristallisations des craintes de l’artiste, comme ce filet de pêcheur devenu inutile ou ces chaussures désertées, couvertes de sel de la Mer Morte et posées sur un lac gelé. Une vidéo montre des garçons dessinant des lignes dans le sable à Azkelon, « hybride de Aza (Gaza) et d’Ashkelon », frontières instables qu’elle voudrait voir dépassées par un rêve : construire un pont de sel au dessus de la Mer Morte pour réunir Juifs et Arabes. Pour le pavillon grec, Diohanti fait
elle-aussi appel à l’élément liquide. Le
spectateur circule sur un labyrinthe
épuré, entouré d’eau. Harmonie, vide, paix. Une
musique métallique, stridente,
hante le parcours tandis que des ouvertures dans le pavillon –
recouvert de
bois pour la circonstance – créent des jeux de lumière. A
l’entrée, en haut,
une inscription à la bombe « Sold out »,
rappelle la situation du
pays. A-t-elle été écrite par l’artiste
elle-même, ou par des
manifestants ? Qu’importe, le message est présent, à
l’intérieur comme à
l’extérieur du pavillon, et malgré la perte, l’espoir
reste vibrant.
Diohanti (Pavillon grec) Si la lumière est rarement présente dans les œuvres exposées à la Biennale, elle se donne pourtant à voir dans certains événements collatéraux. Ainsi les très belles expositions d’Anselm Kiefer et d’Emilio Vedova, à la Fondation Vedova laissent chacune entrevoir la profondeur d’un univers intérieur. Quant à l’art contemporain venu de
Chine, plutôt que dans le pavillon officiel, c’est dans le
Lycée Artistique,
déserté pendant l’été, qu’on aura
l’occasion de le goûter. Les sculptures,
photographies, peintures et installations multimédias
proposées, entre autres,
par le Musée d’art de Guandong et la galerie Shanghai Author
Gallery, présentent
différentes facettes de la richesse créative du pays.
Ainsi Ying Tianqi, avec
son installation vidéo « Cicatrices du
siècle » où l’artiste projette
sur une structure constituée d’objets trouvés in situ les
images de sa ville
natale, Wuhu, en ruines, victime de la
« modernisation », comme il
avait déjà projeté sur ces ruines-mêmes les
images de la ville avant sa
destruction.
Ying Tianqi, Shanghai Author Gallery Cette évocation de la Biennale 2011, si riche en propositions, expositions et événements divers, qu’il est difficile de la couvrir dans sa totalité en quelques jours, est forcément limitée et partiale.
Anguéliki GARIDIS
Liens : Anselm Kiefer, Fondation Emilio and Annabianca Vedova, Venise, Biennale 2011 : http://www.youtube.com/watch?v=fbTyQ7igMw0&feature=related
Diohanti, Pavillon de la Grèce, Venise, Biennale 2011 : http://www.youtube.com/watch?v=JWLAWXJQfPk Pipilotti Rist au
Pavillon Central, Giardini, Venise,
Biennale 2011 :
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