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« J’accède à l’ange par ton extase »
Exposition Klonaris / Thomadaki à Bétonsalon


© Klonaris/Thomadaki

Après une déambulation solaire dans ce quartier moderne, complètement inconnu, qu’est pour moi ce coin du 13e arrondissement de Paris, j’arrive au centre d’art Bétonsalon. A l’entrée, un petit salon cosy, où sont présentés les affiches des expositions de Maria Klonaris et Katerina Thomadaki et sur les étagères, toutes sortes d’ouvrages féministes de livres d’art et dont les catalogues des artistes.

Juste avant de passer le seuil de la salle d’exposition, de la grotte lumineuse, un double autoportrait des artistes, dessiné par Maria au crayon en 1970. Maria, de face et Katerina, longiligne, de profil. Elles ont vingt ans, à Athènes, pendant la dictature des colonels. Le visage sombre, elles cherchent des ailes pour s’envoler.

Je pénètre, seule, immergée dans une obscurité scintillante, nocturne, où se glisse çà et là une lumière bleu-mauve, apaisante, propice à la méditation, accueillie par la voix de Maria et le rayonnement de l’Ange, démultiplié.


© Klonaris/Thomadaki, Angelophanies

Au milieu du « sanctuaire » consacré au Cycle de l’Ange, une longue table. Sur deux rangées, tels des rouleaux venus de l’Ancienne Asie ou des pellicules de film, l’Ange intersexe, en noir et blanc, sur lequel s’incrustent ailes, plantes ou amas d’étoiles. Théories d’anges aux yeux bandés observant les étoiles de leur regard intérieur. 88 images sur les deux cent variations existantes, créées entre 1987 et 1988. Coïncidences aux accents alchimiques. D’ailleurs, les images et vidéos composant chaque installation sont toutes organisées en multiples de deux, à l’image du couple iconique formé par les artistes, désormais de part et d’autre du miroir, depuis la mort de Maria, il y a dix ans. Quant à moi, la première fois que j’ai vu l’Ange aux yeux bandés, c’était en 1996, après la publication de mon livre, Les Anges du désir (Albin Michel), il y a vingt-huit ans. Je me souviens du sourire malicieux de Maria m’expliquant les multiples facettes du Cycle de l’Ange et du sourire épanoui de Katerina me dévoilant, une à une, les « Angélophanies ». 2, 4, 6… 88…double infini en écho au « Double labyrinthe », l’un des premiers films de Maria et Katerina, leur double autoportrait.

A droite en entrant, une installation de six moniteurs sur un mur bleu-mauve où est projeté un éclat galactique. Identité tourbillon, mosaïque. XXYY XXXX XXX0 Vidéos en boucle où des mots incrustés défilent sur les amas d’étoiles, « autoportrait virtuel » rappelant le double portrait de l’entrée.

Au centre du long mur de droite : une installation verticale : « Personal statement » où quatre écrans superposés sont soulignés par une ligne lumineuse mauve. Comme dans l’installation précédente, la vidéo date de 1994. Les mains négatives de Katerina caressent l’Ange, tandis que la voix de Maria déclame, hypnotique : « You, the erotic mutant… This is a personal statement, about you. » Double déclaration d’amour à l’Ange.

Les ailes de l’Ange m’enveloppent de leur caresse sans corps.

Sur le mur de gauche, six caissons lumineux avec des agrandissements des « Angélophanies » imprimées sur toile font le lien avec l’extérieur, puisque des anges sont également visibles sur la façade vitrée de Bétonsalon, accompagnés du manifeste « Intersexualité et intermedias » des artistes, affirmant ainsi la dimension politique de l’œuvre. L’Ange, figure liminaire, être des frontières.

Dans la salle d’exposition, au-dessus des anges, des phrases inscrites verticalement, en lettres bleu-mauve sur fond noir, répondent à l’installation avec les quatre vidéos superposées. « Tu voles coupant d’un vol horizontal le champ de ma vision » « Tu apparais dans mon œil droit comme soleil ardent » « Tu apparais dans mon œil gauche comme une lune éclatante » … Jour/nuit, intérieur/extérieur, masculin/féminin éclaté, fusionné dans une figure intersexe, érotisée dans son hésitation-même, qui s’affirme avec grâce et détermination. « L’Ange, c’est l’insaisissable de l’Autre »… retour de la phrase clef, celle qui m’accompagne depuis bientôt trois décennies, écrite de la main de Maria sur l’image de l’Ange aux yeux bandés qui veille sur mon sommeil.

© Klonaris/Thomadaki, Pulsar / Sword and Sea

Je m’assois sur le canapé qui fait face au mur où sont projetées deux vidéos, en boucle. Pulsar (2001) je l’ai vu à maintes reprises, mais les yeux de Maria et sa danse-tourbillon m’interpellent toujours, ses mains projetées en avant, ses cheveux de chamane-filaments de galaxies, démiurge toute puissante jouant à créer le monde dans un feu d’artifice de sons et de lumières… Tournoiement cosmique bouleversant. Pulsar est associé à une nouvelle création : Sword and Sea, réalisée pour l’exposition par Katerina à partir de rushes vidéo plus anciens. A Maria déesse démiurge répond Katerina, filmée par Maria il y a une vingtaine d’années, vêtue d’une armure argentée, le visage sévère, décidé, esquissant une danse martiale… L’épée déchire l’espace, la mer au mauve scintillement, l’image se scinde, devient diptyque puis caléidoscope. Dissolution progressive. La matière en perpétuel mouvement se donne à voir dans des éclats de bleu, d’argent, de mauve et d’or… L’image tangue entre la figure de l’ange guerrier à l’identité de genre indécise et l’abstraction, pixélisation hypnotique amplifiée par la musique électronique de Spiros Faros. La mer, bouillon de vie, pendant de l’espace infini que suggère Pulsar, introduit et clôt le film, emportant l’ange-samouraï dans son horizon liquide.

Anguéliki Garidis

Photos illustrant l’article : Anguéliki Garidis

 

L'entrée du centre Bétonsalon

L'exposition Klonaris/Thomadaki "J'accède à l'Ange par ton extase" se poursuit à Bétonsalon jusqu'au 14 décembre 2024. Programme des événementsencore à venir, organisés en partenariat avec la Bibliothèque nationale de France, le Centre Pompidou - Cycle Vidéo et après/Service Nouveaux Médias et Aware Archives of Women Artists — le prix d’honneur Aware 2024 a été attribué à Klonaris/Thomadaki.

16 septembre – 4 janvier 2025, BnF | François Mitterrand, Bibliothèque de recherche

« Klonaris/Thomadaki : archives »

Exposition d’une sélection de documents issus du Fonds Klonaris/Thomadaki 
Accès réservé aux personnes accréditées à la bibliothèque de recherche

. Vendredi 6 décembre, 15h-16h, BnF | François Mitterrand, Bibliothèque de recherche

Atelier découverte du Fonds Klonaris/Thomadaki par Julie Guillaumot
Places limitées, réservation obligatoire auprès de 
publics@betonsalon.net

. Mercredi 11 décembre, 18h-20h, BnF| Richelieu, Salle des conférences

Klonaris/Thomadaki, « Night Show for Angel, le cinéma déployé »

Conférences d’Alex Chich et Katerina Thomadaki, introduites par Maud Jacquin

. Jeudi 12 décembre, 18h, Villa Vassilieff – AWARE : Archives of Women Artists, Research & Exhibitions

« Un regard élargi : les ateliers cinéma Super 8 de Klonaris/Thomadaki »

Présentation des ateliers des années 80 par Catherine Bareau et Ana Bordenave
Projection-performance de trois films par Catherine Bareau
Évènement réalisé avec AWARE

. Samedi 14 décembre, 18h-20h, Bétonsalon, finissage de l’exposition

Conférence d’Antoine Idier, suivie d’une conversation avec Katerina Thomadaki, Vincent Enjalbert et Émilie Renard

. Mercredi 15 janvier 2025, 19h-21h, Institut National d’Histoire de l’Art (INHA) – Auditorium Jacqueline Lichtenstein, dans le cadre du cycle « Vidéo et après », service Nouveaux médias, Centre Pompidou
« Klonaris/Thomadaki : Le silence et le son »

Katerina Thomadaki en conversation avec Marie José Mondzain


© Klonaris/Thomadaki, Angelophanies

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