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Armand Vaillancourt, sculpteur citoyen,
entre la vie et l’œuvre.

 
Délicatesse et démesure. La vie et l’oeuvre d’Armand Vaillancourt, inextricablement mêlées, s’inscrivent  entre ces deux extrêmes. L’engagement, la création et l’existence quotidienne de l’artiste forment un tout indivisible, même si au premier abord, l’abstraction des œuvres, gravures minimalistes ou sculptures monumentales, paraissent éloignées de toute démarche politique.

Armand Vaillancourt dévore la vie et sa générosité exigeante, son intégrité sans compromis, se déploient dans ses œuvres plastiques, sculptures souvent gigantesques qui s’affirment entre la matière brute et l’envol lyrique, comme dans ses performances publiques qui expriment un engagement social et politique jamais tari.

Fougue d’un homme qui a fait de sa vie une œuvre, et de son œuvre un combat inlassable contre toutes les injustices. Comme il aime à le dire lui-même, il est un « guerrier » qui a fait de son « je » depuis longtemps un « nous ».

                                           

L’Arbre de la rue Durocher, 1953-54
Orme
18’ x  6’ x 8’
Musée des Beaux-Arts du Québec



Vaillancourt utile les matériaux, le bois, le bronze ou l’acier coulés, le polystyrène, le béton, la pierre, comme des objets à explorer et conquérir, de la performance publique de l’arbre de la rue Durocher (1953) - où il s’approprie un arbre de la ville de Montréal pour le transformer et lui donner une existence nouvelle, évoquant dans le même temps une relation intime entre l’art et l’écologie -, à la sculpture monumentale en béton, fontaine immense aux formes éclatées qu’il dédie au « Québec libre », lors d’une intervention musclée à l’occasion du vernissage, à l’Embarcadero plazza de San Francisco (1968), en passant par les bronzes et l’acier coulés, qui deviennent parfois performances publiques, et où l’intervention sur la matière brute rappelle en trois dimensions et à une grande échelle, par l’impression de mouvement et d’énergie qui en émanent, la peinture gestuelle d’un Pollock, l’ « automatisme » de Riopelle ou de Borduas.[1]



Vaillancourt fountain, 1967-71
Acier, béton
50‘ x 120‘ x 200‘
Justin Herman Plazza, San Francisco
(Gagnant d’un concours international)

Les formes organiques et celles créées par l’homme, évoquant notre monde industrialisé, sont mêlées dans les sculptures, évoquant les liens intrinsèques de l’homme avec la nature.

De même, Vaillancourt refuse de séparer l’art et la politique. En témoignent les titres de ses œuvres : « Justice aux Indiens d’Amérique » (1957 : sculpture totémique en bois), « Paix, Justice et Liberté » (1989 : événement participatif), « Hommage aux Amérindiens » (1991-2 : assemblages de bois traités par l’industrie qui ressemblent à des tipis), « Le Chant des peuples » (1996 : forêt d’arbres colorés suspendus), « El Clamor » (1985 : sculpture-fontaine évoquant la répression dans les pays latino-américains)…

                                           

El Clamor, 1985
Marbre, béton, acier
1er symposium ibero-américain
Saint-Domingue, République Dominicaine



Tous ces titres révèlent la multitude des engagements d’Armand Vaillancourt, qui ne doivent pas faire oublier la force, l’originalité et la diversité de son œuvre, qui intègre la sculpture, minimaliste ou monumentale, la peinture, la gravure, les happenings, le théâtre, mais également la musique, qu’il lie intimement à son œuvre plastique : «… avant de voir mes sculptures dans ma tête, je les entends. »[2]. Ses performances de musique concrète[3], ses sons électroacoustiques créés pour des spectacles de danse ont suscité l’admiration d’un John Cage.


2007 Décor de scène pour le spectacle Amjad de la troupe de Danse LaLaLa Human Steps.
Acier



Entre Christ et Chamane, Armand Vaillancourt promène sa révolte et sa joie, ses revendications jamais tues, sa naïveté, portée par l’énergie de celui qui toujours s’étonne, s’écoeure ou s’émerveille.  Il fait de sa vie une œuvre d’art, sans jamais cesser de créer, inlassablement, sculptures, peintures, installations, gravures par milliers, dessins griffonnés sur des carnets d’esquisses, toujours bouillonnant, écartelé entre la vie et l’œuvre, trépignant de bonheur devant le « beau monde » qu’il rencontre.

Si les artistes sont « les fleurs de la société », comme l’affirme Armand Vaillancourt, il est la fleur épanouie à la vitalité persistante, revendiquant toujours ce qui « grince » avec la langue chatoyante d’un sage qui a su garder en lui mes étincelles brutes d’une enfance obstinée.

Anguéliki Garidis
agaridis@hotmail.com
 


Notes :

[1] Le Refus Global, publié en 1948 par Paul-Emile Borduas, marque au Québec la rupture avec les traditions catholiques rigoristes et annonce le mouvement automatiste. Les œuvres de Vaillancourt et de Roussil ont marqué les débuts du modernisme dans la sculpture monumentale au Québec, et ont accompagné les débuts de la Révolution tranquille.

[2] Cité par John Grande, p. 54.

[3] Performance « Concerto pour sculteur et pièces de métal », 1961, spectacle au Festival International de musique actuelle de Montréal. 22 tons étaient produits par des instruments musicaux créés par Vaillancourt lui-même, parmi lesquels les « plaques musicales ». L’artiste a déclaré faire une « orgie avec la matière ».

Participation aux spectacles de danse de Suzanne Verdal au Centre Canadien d’Essai.



Sources :

 
John K. Grande,  Jouer avec le feu. Armand Vaillancourt : sculpteur engagé, Lanctôt éditeur et John K. Grande,  2001. Traduit de l’anglais Playing with fire… Armand Vaillancourt: social sculptor, Montréal, Zeit & Geist, 1999.

Catalogue d’exposition : Armand Vaillancourt. Sculpture de masse, Les éditions Mus’Art, Rivière-du-Loup, Québec, Canada, 2004.

Interventions publiques et privées de l’artiste.