[Centre National de la photographie]

 

Eric Poitevin


© E.Poitevin"sans titre", 1996

Eric Poitevin a souvent photographié des êtres ou des lieux en voie de disparition. Non par nostalgie ou par simple souci d'en garder une trace, mais parce qu'ils sont porteurs d'une charge de temps et d'expérience sur le point de se dissiper. Et c'est cette charge et l'imminence de sa disparition qui donnent à ses portraits d'anciens combattants, de vignerons d'Arbois, ou de dignitaires de la Curie romaine une telle concentration, à ses paysages de sous-bois et à ses papillons qui s'effritent une telle aura de mystère et de présence. Il ne s'agit pas chez lui d'une typologie ou d'un relevé de type sociologique. Ses photographies, parfois tirées en grand format, sont présentées en ensembles soigneusement construits. Ses images n'ont pas de temporalité définie "Il n'y a pas dans mon travail la possibilité de dire où se trouve la lumière ou le soleil quand je fais la photographie".

Eric Poitevin, né en 1961, vit dans la Meuse, près de Verdun.


© E.Poitevin"sans titre", 1995

 

Les extraits qui suivent sont issus de "Fragments d'un abécédaire", entretien de Pascal Convert avec Eric Poitevin réalisé en novembre 1997, publié dans un livre accompagnant l'exposition, coédité avec Actes Sud.

 

Abstrait

 

Abstrait... Ce mot m'est apparu en même temps que la découverte de la peinture abstraite. C'est donc très culturel. Auparavant je ne savais pas trop ce que cela voulait dire pour moi.

Avec mon travail je crois que je suis dans le concret La photographie oblige dès le départ à être concret. C'est quelque chose qui passe par la manipulation... même Si on n'a pas toujours une connnaissance intrinsèque de ce que l'on fait. Je ne sais pas Si on peut parler d'abstraction dans mon travail

Il n'y a rien par exemple de plus concret qu'une étendue d'eau stagnante qui charrie des boues... c'est une vraie matière. Lorsqu'on photographie cette matière, il n'y a aucun élément qui ramène à une échelle... aucun indice a priori Cela m'intéresse que le regard se perde, qu'il ne puisse pas s'accrocher à un point précis, qu'il glisse... Du coup l'image devient une sorte de monochrome avec quand même une nuance légère. Je montre une espèce de champ de boue... et c'est lu comme quelque chose d'abstrait effectivement. Cette photographie renvoie tout de suite à des "lieux communs de l'Art". Ma is pour moi, ce n'est pas cela l'abstraction. L'abstraction est forcément mentale... alors que dans ce cas je peux nommer la chose que je montre. C'est physique.

 

Cadre

 

Cadre : ce qui me sert à délimiter mon propre espace, l'espace de mes images.

Je choisis le bois des cadres, je les fabrique, je les assemble. C'est une façon d'aller jus qu'au bout des décisions. En choisissant ces cadres, je renforce ma proposition :je rassemble l'intérieur, l'extérieur, la périphérie.

Le cadre et le cadrage sont peut-être la même chose : le cadre est une façon de surligner le cadrage photographique, c'est un sertissage, une protection, une frontière, une mise en scène... des reliquaires laïques, pas sacrés. Les "Papillons" sont des reliquaires laïques. (...)

 

Flou

 

Je crois qu'il y a du flou partout. même Si j' essaie d'y mettre un peu de netteté. Je crois que c' est peut-être cela mon travail: la netteté dans le flou. A priori je ne veux pas de flou dans les images et pourtant le flou que l'on peut trouver dans les photographies du dix-neuvième siècle me trouble. Le flou de mise au point ne m'intéresse pas car chacun a sa propre vue, donc son propre sens de la netteté. Par contre le flou des "Petits ramoneurs" de Charles Nègre est un problème de temps, de temporalité, un rapport au temps. Le flou dans la photographie vient de quelque chose de statique. Cette immobilité contient le flou.

Le temps n'existe qu'à travers l'expérience des choses... Je serais tenté de penser qu'il n'existe pas en fait.. Plus que le temps, c'est l'expérience qui existe. Je crois que l'on est en modification perpétuelle; nous sommes des récepteurs. Il m'arrive quelquefois de me comparer aux chauve-souris. Je sais peu de choses sur les chauve-souris, je sais qu'elles trouvent leur route en émettant des sons qui leur reviennent. Elles modifient, elles sont émetteur et récepteur; et elles trouvent leur chemin là-dedans... La chauve-souris est un animal aveugle... un peu comme moi.

 

Matin

 

Je suis assez matinal. Le matin, c'est du temps à venir, un projet en soi. Je suis souvent assez seul le matin, mais ce n'est pas la même solitude que le soir... parce qu' entre temps on peut espérer qu'il se passe des choses...

Je fais Souvent des photographies par temps de pluie, parfois par temps de brouillard. Le matin en forêt. très tôt. il y a peu de lumière, la lumière pénètre doucement. ll y' a au moins une heure d'écart entre Je jour en plaine et le jour en forêt. donc le matin cela suppose de faire des images autrement...

J'ai besoin d'être dans un endroit où il y' a des changements climatiques. A priori je supporte mieux le mauvais temps. Le mauvais temps oblige à s'organiser, à réagir; c'est une sorte de mise à l'epreuve, je trouve que la météo nous met à l'epreuve...et du coup c'est une situation de résistance.

Dans certains cas je travaille avec la lumière naturelle, mais souvent je crée la lumière de toutes pièces. C'est le cas des photographies de crânes. La lumière, le fond noir isole. J'arrête les choses.

Dans le cas des photos prises en exténeur, il y a une attente, les choses n'obéissent pas à notre volonté.

 

Temps

 

Est-ce qu' il n' a pas davantage le temps que l' on consacre aux choses que le temps qui nous est imparti ? C' est peut-être cela le temps de pose de mes photographies.

Le temps est une relation. Sans relation, il n' y a pas de temps... Je crois l' a voir déja dit.


 

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