[ Musée Picasso ]

 

Bissière,
un sauvage qui aurait tout appris


Depuis le début du siècle, l'usage des matériaux et de matériels inédits dans la peinture et la sculpture a largement contribué au renouveau des pratiques artistiques. A côté des recherches cubistes ou surréalistes dont les techniques du collage et de l'assemblage ont promu un nouveau vocabulaire formel, d'autres recherches sont apparues qui, comme chez Bissière, ont donné lieu à de remarquables propositions.

En effet, dès les années vingt, Bissière a utilisé des matériaux de rebut (morceaux de bois ou d'os, ferrailles, tissus, etc.) qui ont très sensiblement fait évoluer son langage plastique.

D'abord de définition cubisante, l'oeuvre matiériste de Bissière a développé des potentialités autres, tournées davantage vers une appréhension singulière de la réalité dans laquelle les inclinations religieuses et païennes, paysannes et artisanales trouvent leur meilleure expression.

BISSIERE

 

BISSIERE
cheval, 1938
15,5 x 20,5 x 12,5
collection particulière, Paris


Tableaux réalisés avec des techniques inhabituelles, sculptures faites à partir d'assemblages d'éléments divers, meubles façonnés et peints, tentures faites avec des morceaux de tissus mis en place selon la technique du patchwork: autant de moyens que Bissière va interroger durant plusieurs décennies, parallèlement à son travail de peintre.

C'est cet aspect de l'oeuvre que l'exposition entend mettre plus particulièrement en lumière et qui, pour la première fois, permettra de faire le point sur des pratiques qui légitiment amplement le mot d'Alexandre Viallate selon lequel Bissière est un " sauvage qui aurait tout appris ". BISSIERE

 

BISSIERE
masque, 1945
assemblage bois, os, et clous rehauts de craies
33 x 31 cm
collection particulière, Paris

 

Du fond de son terroir médité de Boissierette. et en repartant du puits obscur de soi. Bissière est parvenu à faire émerger dans ses oeuvres la sève de lumière et les signes du monde et de la vie. L'enracinement singulier et nourricier s'est transcendé. par l'art. en éclosion originale et créatrice de signes universels, c'est-à-dire, selon une belle formule de Torga "le local moins les murs" Rarement une oeuvre aura été si profondément en coïncidence avec l'astucieuse leçon étymologique du mot "orginalité". qui "évoque les "commencements", une "instauration", un retour, de substance et de forme, aux origines. En relation directe à leur originalité. à leur force spirituelle et formelle d'innovation. les inventions esthétiques sont "archaïques". Elles portent en elles la vibration d'une lointaine source" . Oui, chaque oeuvre de Bissière - dès les années quarante, voire bien antérieurement déjà s'agissant de certaines pièces comme les Guitares vers 1920. et jusqu'à sa mort en 1964 nous entraîne à notre tour, mobilisant notre propre fond "archaïque" ainsi réveillé, à sympathiser profondément et dans l'émerveillement avec "le rêve d'un sauvage qui aurait tout appris" . Un sauvage singulier et délicat qui affirmait croire "seulement à l'instinct le plus primitif. Celui qui surgit du fond des âges" et ajoutait subtilement aussitôt : "Peut-être aussi à ce que Pascal appelait "l'esprit de finesse".

Extrait du texte de Bruno Duborgel
Bissière, un sauvage délicat
Catalogue Bissière, un sauvage qui
aurait tout appris

Edition RMN. 1999

 

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