Parce qu'issu de recherches qui, au début du siècle, allaient notablement le transformer, l'art moderne a toujours été perçu comme un art du refus et de la séparation, autrement dit de la rupture voire de la fracture. Art de l'écart, de la divergence, du décalage, du désaccord, de la distorsion et donc, forcément, de la disgrâce (vite transformée pour les besoins de la cause en art de la déchéance ou de la dégénérescence). Et pourtant, l'art moderne comme l'art contemporain n'exclut nullement les procédures visant la réparation, la réfection et le renfort. Mieux ils intègrent parfois la fonction thérapeutique comme une donnée fondamentale de leur recherche et, pour lui donner plus de poids, les artistes n'hésitent pas à l'expliciter dans des textes ou dans des entretiens. Une telle détermination est repérable dans maints travaux ou démarches d'artistes qui, tout au cours des décennies de ce siècle, d'Henri Matisse à Joseph Beuys, de Fernand Léger à Lygia Clark, ont contribué à affermir la notion de l'art comme liant social ou comme restructurant pour l'individu ou, souvent les deux à la fois. L'activité artistique, en un siècle pourtant Si décidé à lui offrir son affranchissement total en la libérant de toute fonction, trouve, dans les motivations explicites de certains artistes, de quoi s'inscrire dans les pratiques humaines fondamentales. L'art allait à nouveau trouver son exercice, non point, comme on l'a trop rapidement affirmé, dans la seule expérimentation de ses développements formalistes, mais avec un vrai projet, celui d'aider autrui à recouvrer l'équilibre rompu, celui de l'aider à reconquérir une santé détériorée. Si Henri Matisse, Fernand Léger, Sam Francis, Antoni Tàpies, Joseph Beuys, Lygia Clark, dans des registres formels étonnamment différents peuvent être ici rapprochés, c'est que tous inscrivent leur art dans ce projet, c'est que tous confèrent à leur oeuvre le pouvoir insigne de soigner. L'observation première est que cette liste est incomplète et que d'autres noms, plus contemporains comme ceux de Thomas Struth, Fabrice Hybert, Marie-Ange Guilleminot et Claire Roudenko-Bertin méritent d'y être inclus et doivent faire l'objet d'une attention toute particulière. En effet, dés le début du XXe siècle
et dans les quatre ou cinq décennies qui vont suivre,
ceux qui allaient devenir les grands artistes de la modernité
mettent clairement en avant cette mission qu'ils entendent conférer
à la création artistique. Henri Matisse, prêtant
ses propres tableaux à des amis malades dans l'espoir
de leur Ainsi est-il possible de dégager deux grandes figures typologiques de cet art médecine auquel vont travailler, sans exclusive aucune naturellement, un certain nombre de créateurs du xxe siècle. Pour eux, l'activité artistique n'est nullement circonscrite aux seules implications formelles - lesquelles bien entendu ne sauraient faire défaut aux recherches engagées - et trouve une plus complète légitimation dans une pratique où de vitaux enjeux, comme la santé des individus, sont pris en considération. L'art, comme moyen de restauration et de rétablissement, atténue de manière significative l'image déstructurée à laquelle il fut associé durant ce siècle. Même à un moment de l'histoire où son cours a été marqué par de multiples remises en question et par de nombreuses tentatives de rupture avec le passé et la tradition, la création artistique de notre époque a pu accepter les grandes orientations qui ont toujours été les siennes et perpétuer les missions fondamentales qui lui ont aussi été assignées. Mieux, bien que souvent perçu comme réservé aux seuls connaisseurs, l'art du xxe siècle, du moins à travers les grandes oeuvres qui sont mises à l'étude ici ou à travers les apports des artistes plus jeunes, ne laisse pas de se donner comme un art de partage et d'échange. Loin de le laisser au dehors, il intègre l'individu dans son projet même et, dés sa mise en application, lui octroie la place la plus centrale. Producteur d'objets-médecine ou produit des artistes-guérisseurs, l'art de notre époque, par un curieux paradoxe, a, dans sa pratique éternellement solitaire, beaucoup oeuvrer pour assurer à chacun l'équilibre que lui-même a voulu rompre Si souvent. Ces par de tels repérages dans les pratiques créatrices modernes et contemporaines que l'histoire de l'art contribuera à démontrer la cohérence et la force des propositions faites par les artistes. Maurice Fréchuret
Fernand Léger:
Sam Francis:
Antoni Tàpies:
Marie-Ange Guilleminot:
Beuys: |