De 1996 à 1998, j'ai effectué plusieurs voyages en Iraq dans le but de traverser le pays du Nord au Sud pour découvrir qui était ce peuple mis au ban de la société des nations après le conflit du Golfe. J'y ai trouvé bien sûr une population très affectée par une situation économique critique, par l'état des hôpitaux et des écoles, par la désintégration du système social l'appauvrissement des familles, l'apparition des soupes populaires, conséquence d'un embargo très strict. La population s'enfonce dans une désespérance chronique et malgré les diverses résolutions prises par les Nations Unies la situation se dégrade. Au delà de cette vision généralement partagée par tous les journaux traitant du problème iraquien, la traversée du pays m'a donnée une autre vision, plus éloignée de l'image habituellement véhiculée. J'y ai découvert une richesse culturelle extraordinaire, une grande diversité de populations, véritable mosaïque ethnique allant des Assyriens aux Arabes en passant par les Kurdes, les Perses, les Turkmènes, les Turcs, les Arméniens, les Tcherkesses. Yazidis au ausolée de Sharf al Din Djedel Sindjar, décembre 1997 © Yves Gellie L'Iraq a d'abord été connu sous le nom de la Mésopotamie, " le pays entre les fleuves ", qui fut le long du Tigre et de l'Euphrate le berceau des civilisations sumérienne, babylonienne et assyrienne. Une région, témoin de la création de la première cité, Uruk qui inventa l'écriture, le fondement même de l'histoire des hommes. Ce voyage m'a amené de Mossoul - peuplé de chrétiens Chaldéens ou Nestoriens, ordonnant des prêtres, issus de leurs propres séminaires - aux villes saintes musulmanes de Kerbela et de Najaf où la ferveur des pèlerins fait oublier l'étau dans lequel est enserré le pays. A Bassorah, j'ai rencontré une communauté mandéenne qui prétend remonter à Sem (fils de Noé) et qui, suivant les préceptes de Saint Jean Baptiste, consacre les mariages en demi-immersion dans l'eau du Tigre. Dans les montagnes du Sindjar, les Yézidis plaident toujours pour la réhabilitation de Lucifer et pro tègent jalousement leurs mausolées de toute incursion étrangère à leur communauté. Fao, la ville martyre de la guerre Iran/Iraq, entame à peine sa reconstruction sur les bords du Chatt El Arab. Dans la région d'AI Qurna, l'assèchement des marais fait disparaître une architecture et un mode de vie qui remontent vraisemblablement à l'époque sumérienne. Les grands moudhifs de papyrus prennent déjà une dimension historique. Bassora : Baptème mandéen, mai 1996 © Yves Gellie Dans la région de Hit, les habitants collectent le bitume naturel répétant les mêmes gestes que leurs ancêtres, quatre mille ans auparavant. Depuis ses origines, l'Histoire de l'Iraq est jalonnée de crises, de conflits et de guerres. Ce portrait du peuple iraquien sous embargo, reflète la réalité de sa vie quotidienne tout en l'inscrivant dans son contexte historique.Travailler en Iraq nécessite une énorme disponibilité. L'attente d'un visa peut durer des semaines, voire des mois. Le temps de travail sur place est limité et les autorisations de circuler peuvent se faire attendre plusieurs semaines. J'ai fait, en amont de ces voyages, une recherche approfondie pour m'apercevoir qu'il y avait très peu d'ouvrages récents sur cette région et que la majorité des textes dataient des années 20 à 50. Cette recherche m'a permis d'orienter ma quête sur le terrain. La seule façon dont j'ai pu travailler a été d'utiliser chaque occasion de circuler en Iraq pour aller vérifier le fruit de mes lectures. Devant l'impossibilité de travailler systématiquement région par région, j'ai tenté à chacun de mes séjours, de parcourir la majeure partie du pays, suivant le circuit de mes autorisations. En retournant dans les mêmes endroits, j'ai ainsi pu reconstituer bribe par bribe une sorte de puzzle, établissant des relations permanentes entre l'Histoire et l'actualité. |