[ Palais des Beaux-Arts ]

 

Lygia Clark


Lygia Clark (Belo Horizonte 1920 - Copacabana 1988) appartient à une génération d'artistes et d'intellectuels brésiliens particulièrement actifs au cours des années 60 et 70, qui se sont imprégnés des courants artistiques internationaux de leur époque et y ont contribué de manière originale.

Lygia Clark réalise ses premières oeuvres au début des années 50, à un moment oû son pays se trouve en pleine phase de modernisation accélérée, dans le domaine culturel et artistique comme dans d'autres: la poésie concrète, le Cinema Novo, la Bossa Nova, la construction de Brasi lia en témoignent. De 1950 à 1952 Lygia Clark étudie à Paris, notamment avec Fernand Léger. Elle se concentrera sur la peinture jusqu'en I 958. Pour la réalisation de ses oeuvres abstraites constructivistes, elle préfère très vite la peinture industrielle sur bois à l'huile sur toile. Elle partage en outre l'enthousiasme de Léger pour l'intégration de l'art et de l'architecture. Ses Superficies moduladas (surfaces modulées) attirent d'ailleurs l'attention de l'architecte brésilien Niemeyer, avec qui elle collaborera brièvement.

Les séries des Contra-relevos (contre-reliefs) et des Casulos (cocons), sortes de peintures dépliées, marquent le passage à la troisième dimension. Les Bîchos (bêtes), nouvelle série de travaux datant du début des années 60, ne sont plus fixés au mur et n ont ni face ni envers. Ces sculptures sont composées de plaques de métal articulées par un système de charnières. Le Bicho n'est pas destiné â être exposé sur un socle. Le spectateur est invité à le saisir et à lui donner des formes chaque fois différentes par le jeu des charnières. Le nombre de positions possibles semble à première vue illimité. Clark le décrit ainsi: &laqno; C'est un organisme vivant, une oeuvre essentiellement active. (...) Dans la relation qui s'établit entre vous et le Bicho, il n'existe pas de passivité, ni de votre part, ni de la sienne. »

L'accent mis sur l'activité et la participation du spectateur, la volonté de réaliser une oeuvre qui ne révélerait toute sa signification que lorsqu'on la touche et la manipule, voilà des idées qui resteront à la base du développement ultérieur de l'oeuvre de Lygia Clark Sans vouloir, à l'instar de certains artistes conceptuels, renoncer à l'objet, elle le compromettra à sa manière: en ouvrant l'objet d'art au monde environnant et à l'expérience du sujet, et en questionnant sa valeur fétichiste.
En effet, les objets, masques et costumes que crée Lygia Clark durant les années 60 sont composés de matériaux communs que chacun peut se procurer à peu de frais (cailloux, plastique, élastiques etc.), faciles à faire et destinés à de simples expériences corporelles suivant un court &laqno; mode d'emploi » Ainsi, Pedra e ar (Pierre et air, I 966), oû le spectateur est invité à prendre entre les mains un sac en plastique légèrement gonflé sur lequel repose une pierre. Celle-ci suivra les mouvements des mains sur le sac.

L'oeuvre de Clark revêt de plus en plus l'aspect d'une exploration du corps, dans une tentative de rendre aux gestes routiniers leur signification et de réaliser un nouvel équilibre esprit/corps - même provisoire. Celle-ci s'accompagne d'une approche toute particulière du regard et de la vision. Notre culture, et plus encore notre culture artistique, privilégie les yeux par rapport aux autres sens tandis que l'acte de voir est en quelque sorte scindé du corps de l'observateur. Les expériences de Lygia Clark dans les années 60 pourraient bien être interprétées comme une tentative de réintégrer la perception visuelle à l'intérieur du corps. La vision est d'ailleurs souvent éliminée, comme dans le cas des Mâscaras sensoriais (masques sensoriels), sortes de cagoules qu'on enfile

et qui recouvrent en général les yeux, tandis que des substances odorantes, objets sonores etc. stimulent les autres sens. Il s'agit d'ouvrir au participant, à l'intérieur de lui-même, un espace riche en possibilités de projection imaginative, tout en l'affranchissant des apparences, de l'emprise hypnotique des images.

En 1968 Lygia Clark s'installe une seconde fois à Paris où, quatre ans plus tard, la Sorbonne l'invite à enseigner la &laqno; communication gestuelle ». Comptant parfois jusqu'à soixante étudiants, elle conçoit des exercices collectifs qui poursuivent son exploration du psychisme humain. Quelques participants rampent à l'intérieur d'un tunnel en tissu long de 50 m, qui épouse le corps comme un collant (Tunel, 1973), ou bien prennent dans la bouche des bobines de fil de couleur qu'ils dévident lentement pour en recouvrir le corps d'un autre participant, allongé par terre (Baba antropofâgica [Bave anthropophagique], 1973)... ce ne sont que quelques exemples des voies empruntées.

Ainsi, nous voyons se développer une remise en cause de plus en plus radicale de la conception courante de l'art en occident: Lygia Clark transforme le spectateur passif en participant actif, l'objet d'art fétiche n'existe plus pour elle, ni d'ailleurs l'artiste en tant que créateur doté de capacités expressives uniques. En outre. son travail sur le corps ne s'accorde pas vraiment avec l'art de la performance et le body art, en plein essor à l'époque: Lygia Clark ne veut en aucun cas se voir placée au centre de l'activité artistique et se considère comme une personne offrant des situations et des propositions à d'autres, en vue d'expériences sensorielles et psychiques.

C'est peut-être ce radicalisme qui a fait passer Lygia Clark, vers la fin des années 70 et après son retour au Brésil, en marge du monde de l'art. Ses activités évoluent vers la psychothérapie, sans susciter pourtant beaucoup d'intérêt auprès des psychologues et psychiatres. Sa dernière série d'oeuvres, les Objetos relacionais (objets relationnels) a été conçue en vue de rencontres thérapeutiques individuelles. Lors de celles-ci, Clark impose au corps du patient le contact de ses objets relationnels (différents coussins, sacs en plastique, pierres...) ou de ses propres mains, afin de déclencher chez lui un retour Imaginaire à un stade préverbal, à une forme de connaissance incarnée qui resterait verbalement indécelable.

Après la mort de l'artiste, l'oeuvre de Lygia Clark a bénéficié d'une revalorisation progressive. Notre pays a sensiblement contribué à faire reconnaître Lygia Clark comme l'un des personnages-clé de l'art contemporain international: en 1992 déjà, le public a pu voir certaines pièces lors de l'exposition América. Bride of the Sun (Musée Royal des Beaux-Arts d'Anvers). Plus récemment, quelques oeuvres ont été présentées dans le cadre de l'exposition L'informe (Paris, 1996) et de la Documenta X (Kassel, 1997). L'exposition présentée au Palais des Beaux-Arts est la première grande rétrospective qui lui soit consacrée. Elle a été organisée par la Fundacio Antoni Tàpies à Barcelone et présentée ensuite à Marseille et à Porto. Elle donne un aperçu complet de l'oeuvre de Lygia Clark des premiers tableaux et reliefs aux Objetos relacionais. Les visiteurs sont invités à manipuler les objets ainsi qu'à assister ou à participer aux diverses expériences. Des visites actives sont prévues pour les groupes d'enfants et d'adultes. L'exposition s accompagne d'une monographie exhaustive.

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