L'enlèvement d'Europe
Emportée sur le dos d'un blanc taureau, éphémère
incarnation de Zeus, Europe a quitté l'Asie. Image de l'amour, de
la fusion des peuples, ou légende commémorant une guerre,
l'enlèvement d'Europe comme celui d'Hélène, son double
mythique, évoquent un monde de contrastes, où la violence
et la douceur tour à tour se combattent et s'allient. Le rapt d'Europe
est-il symbole de destruction ou de fertilité? Le collier de fleurs dont elle pare
le cou de Zeus-taureau est-il un signe de renaissance, ou ne représente-t-il
qu'une joie fugace avant la peur, avant la violence?
Pourquoi Europe, cette fille de Phénicie, a-t-elle donné son
nom à la Grèce continentale, puis à l'Europe actuelle?
Cette appellation étrangère n' annonce-t-elle pas le métissage
des peuples qui coexistent dans ce petit continent aux frontières
floues, dans cette petite contrée qui pourrait être un havre
de paix, mais qui n'a jamais cessé d'être ravagée par
les guerres? La mère de Minos est à l'origine d'une civilisation
où l'art et la joie de vivre culminaient, où les femmes n'étaient
pas laissées à l'écart de la cité. A-t-il entièrement
disparu sous les cendres du volcan, le labyrinthe du Minotaure?
Se sont-elles arrêtées, les fêtes des dauphins et des
fleurs, ne sont-elles plus qu'un souvenir sur une fresque joyeuse, ensevelie
dans une île de la Méditerranée?
Pourtant des civilisations différentes, dans d'autres temps, se sont
dégagées des âges sombres pour échanger leurs
idées, leurs arts, leur sens de la poésie. De l'Antiquité
aux temps modernes, l'art a toujours été un lien entre les
cultures, faisant de l'Europe un lieu de passage, où les talents
avaient la possibilité de se rencontrer et de fructifier. L'Europe
n'est peut-être que le rêve inachevé d'autres civilisations,
à moins qu'elle ne soit aussi le rêve lumineux des peuples
qui l'habitent. Devant l'échec de l'idée d'Europe, au milieu
du désastre de la guerre, dix artistes d'origine yougoslave ont tenté
de faire revivre cet univers rêvé, ont essayé de peindre
ce que l'Europe avait pu donner au monde, par-delà les conflits et
la désolation. Une étrange atmosphère de paix et d'harmonie
émane de certains de ces tableaux, de ces sculptures qui semblent
vouloir échapper à la violence que d'autres artistes du groupe
n'hésitent pas à hurler. Mais ce sont justement les contrastes,
la diversité dans l'appréhension de la douleur, qui donnent
une force particulière à cet ensemble d'oeuvres qui voudraient
abolir les frontières, garder la trace d'un bonheur qui pourrait
exister.
Et Iris, la déesse messagère que ces artistes ont adopté
comme emblème, n'est-elle pas un ange qui traverse les pays sans
se soucier de leurs limites, un arc-en-ciel tendu entre les hommes?
Anguéliki Garidis
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