Galerie Lelia Mordoch

 

Patrice GIRARD

 " Demeure dans ta maison "

Du 13 septembre au 2 novembre 2002


Pourquoi Patrice Girard a-t-il choisi une citation de Rembrandt pour titre de sa nouvelle exposition" Demeure dans ta maison " ?

Il faut dire que sa maison, il a beaucoup de mal à la quitter. Parisien d'origine, Patrice Girard " déménage " à la montagne pour vivre autrement, pour pouvoir se consacrer entièrement à son art . C'est un véritable retour à la terre, non pas dans l'utopie des post-soixante-huitard qui vont jouer aux bergers en Ardèche, mais dans la simplicité de la nécessité. Ce n'est pas par goût de l'exotisme qu'il coupe son bois, mais pour pouvoir se chauffer l'hiver.

Ce n'est pas sans mal que Patrice Girard et sa compagne, Evelyne Petit, se sont adaptés à une vie qui n'était pas la leur dans le rude isolement des monts du Forez. Mais ce nouveau monde est devenu pour Patrice Girard une source constante d'inspiration.

Les " Nounours " qu'il peignait en 1990 ont pour ainsi dire bénéficié du grand air. Comme il a du construire sa maison, Patrice Girard a plongé les mains dans le béton et les Nounours se sont trouvé enchâssés dans des " boîtes à secret ". De la fascination qu'il a éprouvé pour ce matériau si commun, sont nées deux nouvelles séries, les Arcs fossiles et les Sépultures. Dans cet univers nouveau, l'il de l'artiste a trouvé un paradis où les choses les plus simples comme la cire, la pâte à feusont devenues partie prenante d'une uvre qui passe de l'animal au végétal, de l'organique à la matière brute. La beauté d'un artisanat du quotidien, en particulier du travail des forgerons est venu s'imposer Girard et s'est insinué dans son travail.

C'est là que Patrice Girard rencontre les poissonsde leur il vif sans paupière, ils regardent le monde comme s'ils en faisaient encore partie.
Pourtant, ils sont là, hors de l'eau gracieusement figés dans leur ultime geste, prêts à reprendre pour nous la ronde de la vie. Est-ce l'Enfer de Sartre ou la danse de Matisse ? Les petits poissons se sont appropriés les cercles de fer forgé oubliés à Patrice par les paysans des environs au fond de leurs granges depuis que l'automobile a remplacé la charrue La mer se rallie à la terre.

C'est en coupant son bois que Patrice Girard, happé par les formes des troncs tronçonnés s'est remis à la peintureil métamorphose ses bois en viande. Ce sont toujours des Natures Mortes mais d'une veine différente. Dans la plus pur tradition classique un bifteck s'appuie sur un bocal dans un confiturier.

C'est en manipulant boyaux et animaux destinés à la table que Patrice Girard redécouvre les pattes de poulet qui lui faisait si peur dans son enfance. Il les métamorphose en mains de femme aux ongles rouges et acérés de stars hollywoodiennes, il en fait des ballerines, des ballets hollywoodiens, elles brandissent des couronnes de roses artificielles, elles deviennent offrandes et retrouvent ainsi les gestes du suppliant.

Mais la nature tout d'un coup s'évapore dans ses dernières uvres de nuages, comme si ses petits poissons qui étouffaient dans une planète desséchée par ses occupants étaient enfin libres, loin des fleurs artificielles des cimetières, comme s'ils s'échappaient du cadre de leur nature morte.
Les " transparences " sont nées. Qu'y-a-t-il de plus transparent que les ciels ?

C'est en imaginant la transparence que Patrice Girard reprend les petits puzzles peints de la "Vie Mode D'Emploi" pour les placer dans les nuages De haut, ils surveillent leur maison . Sont-il déjà au paradis ? Patrice Girard dans une perfide nostalgie de l'enfance est-il passé de l'ours en peluche à bonne nuit les petits ? La première oeuvre de la série m'évoque immédiatement Pimprenelle et Nicolas s'évadant sur le nuage blanc du marchand de sable mais la série continue et s'affine. Comme toujours dans l'oeuvre de Patrice Girard, peu à peu la terre rejoint le ciel et ce sont de véritables paysages abstraits d'eau et de brume que survolent les petits puzzles perchés sur une lune ensoleillée. On croit retrouver le lyrisme de Michel Ange et la tendresse des paysages animés de Bruegel dans ses uvres peintes en miroirs sur le verre.

D'une série à l'autre Patrice Girard surprend par la richesse de son imaginaire, tout est matière à créer, Patrice Girard ne peint pas avec des pinceaux, il peint avec la terre entière, avec tout ce que lui offre son univers. Je ne sais pas encore quelle sera sa prochaine série mais je sais qu'au premier regard elle semblera n'avoir aucun rapport avec les précédentes. En Patrice Girard, il n'y a pas un peintre mais dix, mais vingt, mais cent. Il est rare de trouver des artistes capables de passer avec autant d'aisance d'une série à l'autre, il explore sans jamais reculer devant l'angoisse du passage toutes les ressources de son inspiration. Demeurer dans sa maison, c'est aussi l'habiter de corps et d'esprit, trouver une harmonie de l'être au monde, exister sans "déménager" au sens figuré, savoir vivre en exploitant la folie qui nous habite tous sans la laisser nous entraîner dans son royaume abyssal.
Patrice Girard met en scène ses rêves et ses cauchemars, il nous les offre à voir dans une uvre où la beauté ne fait aucune concession à l'esthétique.

" Demeure dans ta maison, ta vie entière ne suffira pas à découvrir les merveilles qui s'y trouvent ", Patrice Girard met au jour les merveilles d'une oeuvre qui n'est tributaire que du temps qui passe, il explore les domaines de la création qui l'habite sans autre angoisse que celle de la mort qu'il combat sans relâche dans son uvre. Patrice Girard demeure dans sa maison où il fait des merveilles.

Lélia Mordoch

Juillet 2002

Patrice Girard participera à " Art Paris " du 24 au 28 octobre 2002 au Carrousel du Louvre.