Françoise Petrovitch : Aimer. Rompre.
Que reste- t-il aujourd'hui
du romantisme ? C'est à cela que le visiteur est appelé à répondre dès qu'il
passe le seuil du Musée de la vie romantique, pour s'immerger dans les œuvres
de Françoise Petrovitch.
Dans ce lieu fort
symbolique du XIXe siècle, habité par le peintre Ary Scheffer dès 1830, et que
fréquentaient plusieurs membres des familles Scheffer et Renan, le passé vient
côtoyer le présent dans une symbiose à la fois immersive et subversive.
Dans
le salon, où un piano fermé nous impose son silence, notre regard
est immédiatement attiré par ce tableau de grand format vertical, où le rose
et ses variations dominent ; une jeune fille assise tient délicatement un
petit chien sur ses genoux et le regarde tendrement. Ses traits ont quelque chose d’exotique, mais
on ne voyage pas comme avec les œuvres de Gauguin. On reste statique,
devant le silence que nous impose cette scène maternelle. Une vierge Marie
contemporaine, où la place du bébé est prise par celle du petit chien.
Dans l’atelier,
on plonge dans l'univers onirique de Petrovitch et son " île" ;
cette œuvre est inspirée de paysage d'Ermenonville où elle était allée
visiter le tombeau de Jean Jacques Rousseau.
Ici, on plonge dans le roman de la Nouvelle Héloïse et l’amour impossible entre la jeune Julie et Saint-Preux. Et comme Saint-Preux, au début du roman, on se met à parcourir l'espace. En bas, dans une chambre, dont les murs sont peints en vert foncé et où la moquette - elle aussi œuvre de l'artiste - ressemble à des bryophytes, les cyprès se reflètent dans l’eau, comme dans un jeu de miroir. Les encres s’imprègnent dans le papier comme l’eau lorsqu'elle inonde un espace terrestre.
Françoise Petrovitch, 2022
Nous contemplons le
paysage, les variations de l'île, avant de remonter pour observer les
différents personnages que l’artiste a représentés tantôt seuls, tantôt
en couple ; des jeunes hommes et des femmes qui prennent toute la
place, dans des tableaux de grands formats ne contenant aucun décor.
Françoise Petrovitch, 2022
Dans un jeu entre couleurs
acidulées et électriques (allant du rose - ce rose si stéréotypé que l'artiste
veut réintroduire dans l'espace... - à l'orange, au rouge et au bleu)
et variations de noir et de gris, les sentiments s'émergent.
Françoise Petrovitch, 2022
D'un côté, aimer, sentir, rêver. De l'autre, rompre, partir, s'évader. Les deux pourtant ne vivent pas en contradiction, mais en harmonie et équilibre, tout comme l'homme et la nature, le paysage et l'âme.
Françoise Petrovitch, 2022
Une
fois traversée
la cour de cette magnifique demeure aux volets vert clair, et quitté le
bruit venant du petit salon de thé ombragé, on monte le vieil
escalier pour entrer à l'intérieur du bâtiment principal.
Au RDC, sur le vieux papier peint et les meubles, les portraits des femmes peintes par Françoise Petrovitch et ses céramiques, exposées dans les vitrines, comme celle venant de sa collection intitulée « Les gants », côtoient les portraits de George Sand, (qui avec Chopin avait habité elle-aussi ce quartier de la Nouvelle Athènes) et les différents tableaux de famille.
Françoise Petrovitch, 2022 dans une salle du Musée de la vie romantique
A gauche, un tableau
s’impose ; il représente une jeune fille habillée en rose, avec une fleur
rouge sur ses cheveux courts et une bouche rouge elle aussi, ressemblant plutôt
à une pivoine qu'à une cerise, se tenant nonchalamment avec une main dans la
poche de son pantalon marron et l'autre posée sur sa cuisse droite. C'est une
figure presque androgyne, un petit clin d'œil au célèbre style vestimentaire de
George Sand qui avait fait scandale à son époque. Est-ce pour cela que
certaines femmes peintes par Petrovitch fument également ?
A droite, un portrait d'une femme (la même ?) plus âgée, tenant justement une cigarette dans sa bouche et dont le regard et la posture nous font penser à Gina Rowlands dans Opening Night de Cassavetis. Aimer. Rompre... Jeunesse. Vieillesse...
Françoise Petrovitch, 2022 dans une salle du Musée de la vie romantique
Dans une autre chambre, une jeune fille à la chevelure longue se penche. Ses cheveux occupent l’espace et laissent leur empreinte comme les fameuses dendrites de George Sand.
Les couleurs électriques de l'artiste contemporaine, - si proches finalement de ce petit tableau de Pierre Joseph Redouté représentant la beauté des fleurs sauvages - nous donnent enfin la réponse que l'on cherche depuis le début de l'exposition : oui, le romantisme peut sortir de son cadre du XIXe, traverser les stéréotypes et les connotations péjoratives sur l'exaltation de moi un peu trop "gnangnan" pour notre époque, et retrouver sa vraie nature : ici ce n'est pas l'action qui se met en avant. Il n'y a pas vraiment de mouvement.
Pierre
Joseph Redouté, Papaver Somniferum, 1839
Tout est dit avant et
après. Quand on appréhende quelque chose qui va venir ou que l'on regrette
quelque chose qui est déjà partie. C'est cette procédure sentimentale de l'art d'aimer
et de perdre qui est mise en avant. Et c'est cette procédure qui est finalement
si proche du romantisme, même aujourd'hui où on met plus en avant nos actes que
nos sentiments ...
Et puis il y a cette
sculpture de petite ogresse au milieu d’un parterre, dans le jardin du musée,
qui nous rappelle que les anges et les ogres coexistent.
Ioanna Lu
L'exposition a lieu au musée de la vie romantique, à Paris, du 5 avril au 10 sept. 2023
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