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Léviathan. Chasser le sublime ?

 

« Le grand léviathan est l’unique créature au monde dont on ne pourra jamais faire le portrait. » (Moby Dick, Herman Melville)

« Ne pas montrer tous les côtés des choses. Marge d’indéfini. » (Notes sur le cinématographe, Robert Bresson)

 

New Bedford. Projeter un film autour de Moby Dick. Et puis, dans ce port du Massachusetts, là où commence le roman de Melville, un autre désir, mais dans le film des deux réalisateurs, Lucien Castaing-Taylor et Véréna Paravel, reste perceptible la gravitation initiale. Certes Moby Dick n’est plus le sujet explicite, certes ils se sont tournés vers les campagnes de mars d’un chalutier dans l’Atlantique Nord, mais au-delà du titre, Léviathan[1], persistent dans la forme même du film les occasions de questions posées par l’œuvre de Melville : Comment présenter l’imprésentable ? Comment faire sentir du réel l’énigme sauvage ?

Que Melville ait pu être un impulseur intime, que l’idée de « chasse » active chez un créateur des liens analogiques féconds, reste que ces interrogations concernent tout artiste se demandant comment témoigner du réel, comment rendre sensible l’événement naissant, « le fortuit qui révèle l’existence » (Braque). Supposant de ne pas l’écraser par le déjà-là de l’idée, par un vouloir-dire qui se fait servir, capture l’entremonde pour le signifier. Laisser à la figure son ombre, au regardeur « une chance de liberté ».

« Cinématographe : façon neuve d’écrire, donc de sentir. »[2] D’emblée alors la question du corps. Comment le corps touché passe en mouvements d’images dont l’effet à son tour, sauvage, reste pour le spectateur événement ?

Et sauvages, les premières minutes le sont, ravissant de ne pouvoir justement ravir. Arrivent aux yeux, au corps, des événements visuels où l’habitude perceptive reconnaît bien « quelque chose comme » mais dont l’angle de vue, la vitesse de présentation empêchent de reconstituer à temps une totalité saisissable. Du visible alors, tremblé par un peut-être, l’invisible dans le visible. Un manque étrange qui excite, entre plaisir et peine. Une présence impossible à cerner dont le fragment, effractif, éveille des sensations. Une lumière à droite tout en bas, un câble tiré de la nuit, son bruit, intensités sonores de mer et de matière, de lames et de métal, chocs de couleur, l’œil chasse, tente de saisir, la baleine s’échappe, échappe au vouloir d’une maîtrise qui voudrait l’avoir « en main ».

Montage de fragments dont la fluidité réussie crée « un monde ». Est-ce « le » réel ? Plutôt le réel, biffé, sa persistance transfigurée. Une poétique. L’art est là, vibrant de l’entre et de son halo, que l’esprit poursuit, tente de ravir, tout à la fois accueille, désarçonné par une vision qui désamarre de l’automatisme des synthèses perceptives, des cohésions spatiales. Cinéma intranquille de ne pas résoudre les dissonances, de fêler le visible d’une hésitation. Le câble montant s’autonomise, « acteur » à parité de valeur, œuvrant à plein écran. Comme surgissant d’une origine inconnue[3]. Perte des repères, des spectateurs ont mal au cœur, des corps se crispent, d’autres au contraire s’abandonnent. Événement de cinéma qui se fait expérience, corps touché, affecté, ébranlé d’éprouver sans com-prendre, happé par un chaos dont la puissance est pressentie sans l’atteindre. Sentiment du sublime de sentir l’incommensurable au cœur même des fragments. Le film opère sur la crête de l’extrême matière et de son mystère, matière de fugue, en fugue, échappant aux mainmises. La défection des synthèses libère du sauvage, torsadant primitivité / spiritualité. Un des noms de Dieu n’est-il pas en hébreu « peut-être » ? Carl Einstein, dans sa lettre à Daniel-Henry Kahnweiler, ne parlait-il pas de « sensation spirituelle », exploration d’une perception du réel ? « Le paysage se pense en moi », dit Cézanne. Comment mieux évoquer « l’entre » ? Comment mieux exprimer le rapport au réel, qu’on l’appelle « absolu » ou non ? « Nous germinons », dit-il. Le film Léviathan n’arrête pas de le faire. Des caméras légères, des Go Pro, fixées sur les pêcheurs, le bateau, ont filmé beaucoup, longtemps. Des angles, des moments, des rythmes choisis, montés, orchestrés. « Le » réel ? « Du » réel ? « La couleur est le lieu où notre cerveau et l’univers se rencontrent. »[4]

Les réalisateurs ont rencontré l’univers, un chalutier, des filets, des hommes qui les hissent, la pêche dans la nasse.

Après les premières minutes, somptueux opéra de l’« entre », art d’un continu fluidifiant les prises discontinues d’acteurs élémentaires, mer, vent, métal des filins, rouge des cirés, mains et chaînes tirées, voix au micro mutées, arrivent les poissons. Le filet déverse des vivants qui bientôt ne le seront plus.

Derniers sursauts, la vie et l’agonie, branchies vaines. Les couteaux font leur office, têtes coupées, corps éviscérés : un reste qui ballotte au rythme du bateau. « L’utile » dans les paniers, « l’inutile » jeté, la loi du conatus tranche, pose ses frontières. Pour vivre, survivre, « insistance d’être », l’espèce humaine mange, tue des poissons qui la feront continuer. Mais dans la vie à la mort, le gros plan, intention muette, fait persister leur valeur. Parité des focales, parité des espèces, le point de vue choisi fait sentir une évaluation.

« Pré-discursif »[5] disent les réalisateurs mais focales ventriloques. Dans leurs interviews, ils soulignent ce désir de rendre sensible « une parité ontologique ». Humains, animaux, mer, les trois sont là, existent. Pas de regard en surplomb qui devrait valoriser. Mais le gros plan pour les trois fait valeur, médiation d’une perception, non immédiateté d’un réel qui se donnerait « tel », brut, nu, dans son ainséité.

Et le jeu des focales continue, et le conatus des espèces, gros plan sur l’oiseau cherchant jusque dans le bateau ce « reste » qui pour lui ne l’est pas, mais matière à vivre. Dressé, ailes déployées, corps entier aimanté par ce qui fait continuer. Caméra rapprochée, l’essai affolé, l’avidité, deviennent comme « partagés », effet d’empathie de vivant à vivant. Les eaux du bateau ont déversé le sang, le devenu informe mais au-dessus de la mer l’afflux des ailes voletantes fait de la mort la vie qui les fait battre. Chuintement filé, choc visuel de ces rapts en piqué. Aucun commentaire, aucune voix off, juste dans les plumes le bref éclat de lumière avant les plongées. Dans l’assourdissant du bateau, de la mer, des oiseaux, par les gros plans paritaires, ressort encore plus, sans paroles humaines, la force de vie, qu’elle s’élance, se batte, s’exténue ou se perde. Brutalité cosmique, prédation généralisée, espèces mangeantes, mangées, la vie se brûle pour continuer. Le corps des pêcheurs s’y épuise, la survie dans les gestes répétés, automatisés, la fatigue des muscles, des tendons, s’irradient aux paupières. Corps mécanisé pour tenter d’économiser ce qui ne l’est pas, l’énergie dépensée à tuer pour vivre.

Gouttes de sueur, paupières qui se lâchent, l’attention a un prix. Le détail, la caméra (r)approchée n’est pas anecdotique, esthétique, mais témoigne de l’usure des corps, vie perdue dans la vie gagnée. La perte des calories brûlées à couper et treuiller est là, muette, sans discours, dans le corps d’un marin à bout, au bout de ce que peut un corps. Tenir couplé aux couteaux, aux machines, mais là dans la cuisine, découplé, un corps effondré, ce qui en reste.

Des yeux devant la télé sans la regarder, privés de l’énergie des muscles pour le faire, la vie clignote, harassée, le corps peu à peu s’endort. La séquence est longue, par certains peu supportée. Bien sûr, l’endormissement est attendu, mais le spectateur devenu témoin, œil ouvert, redouble par son propre regard, la violence issue de ce qui, dans l’autre regard, a été perdu. Aucun commentaire, suffit cette durée qui fait sentir l’âpreté d’une logique : le corps épuisé dans l’épuisement des poissons parle en silence une pêche devenue intensive, les chalutiers se faisant usine. Mêmes gestes à la chaîne, même automatisme, un salaire mais l’usure.

Présentant leur film au cinéma Escurial Panorama, Véréna Paravel évoquait l’aspect politique du film. Là où le titre Léviathan prend sa polysémie : un monstre qui de grandir étouffe ce qui vient à naître. Le film est partagé entre ce monstrueux et la beauté des naissances, mouvements de vie, mouvements d’une nature indomptable, « l’originel » étant ce mouvement même. Sens infléchi dans la même inclinaison que Walter Benjamin : « L’origine ne désigne pas le devenir de ce qui est né mais bien de ce qui est en train de naître dans le devenir et le déclin. L’origine est un tourbillon dans le fleuve du devenir, et elle entraîne dans son rythme la matière de ce qui est en train d’apparaître. […] quelque chose qui est par là-même inachevé, toujours ouvert »[6].

Et la prédation fait partie des naissances, formes détruites pour que d’autres naissent, continuent. Le film se fait opéra de ce devenir, serait-il monstrueux de cette cruauté cosmique œuvrant dans une finalité que seuls parmi les espèces, les humains pensent. Possible d’un monstrueux n’étant pas l’intraitable de la vie en devenir, mais la vie devenue traitement, calculabilité.

À partir d’une simple campagne de pêche, le film ouvre « un monde » du monde, d’un cosmos vivant de la bigarrure des espèces, vie et mort, pour l’œil humain laideur et beauté mêlées. Même les restes des poissons, même les éclats rouges des étoiles de mer dansent dans l’océan, ballet de mort devenant mouvement de beauté. Non pas l’esthétisme de la laideur, la complaisance morbide, mais, semble-t-il, des cinéastes touchés par ce qui arrive, là, milliers de mouvements d’images, cette « immensité, le torrent du monde dans un petit pouce de matière » (Cézanne). Comment témoigner du sublime, de ce sentiment d’immense, cosmique, originel, sinon en restant au plus près de ce que Virginia Woolf appelle « probité », écouter, passible, l’expérience sensorielle, le corps sismographe passant en écriture, en montage. Alors accueillir, laisser venir la pensée corporelle, exprimer tout d’elle sans dire tout, « penser les sens jusqu’au bout », dit Nietzsche.

Rapprocher là une couleur, un son, un ras de bottes et des poissons, l’affûté d’un piqué et l’eau qui s’en bouillonne, presque devenir mouettes et vagues et marins. « Presque » de l’entre, rencontre, émotions, « combinaison, disent les deux chercheurs, d’objectivité et subjectivité », jamais autant par eux ressentie.

Chercheurs doublement de vouloir explorer, ethnologues, une nouvelle forme de cinéma[7]. Expérience rendue possible en travaillant, elle, Véréna Paravel, anthropologue française, lui, Lucien Castaing-Taylor, ethnologue britannique, au Sensory Ethnography Lab, laboratoire qu’il a fondé à Harvard en 2006, associant départements d’ethnologie, d’études visuelles et environnementales. Le Lab, dit le fondateur interrogé par le New York Times, « prend au sérieux l’ethnographie. Ce n’est pas comme si vous pouviez faire de l’ethnographie en une visite de deux jours quelque part. Mais il prend également le sensoriel au sérieux. La plupart des écrits anthropologiques et des films, à l’exception de quelques œuvres remarquables, sont tellement dénués d’expérience sensorielle ou sensible. […] Il prend au sérieux ce que l’art peut faire »[8].

Vient alors dans le commentaire sur leur propre film, la contrariété de deux désirs. En effet, en disant dans leur interview à Libération, « c’est un cinéma somatique […] où la nature s’exprime quasiment elle-même », il fait coexister deux affirmations dont l’une gomme la médiation même de l’art, l’expérience sensorielle d’une perception et ce qui en naît, travail de montage, angles choisis, focales et rythme. Que des caméras sanglées sur les pêcheurs, fixées sur le bateau, tenues à bout de perche, aient effectivement « enregistré » des centaines d’heures, implique-t-il que dans la forme du film « la nature s’exprime elle-même » ? Au montage, ces « enregistrements » ont été visionnés, regardés, les fragments associés, expression qui ne les fait plus voir comme « tels », réel s’auto-présentant, mais comme partition cinématographique. Non pas une « machine de vision », mais un mouvement d’images qui « joue entre les notes », réalisé certes avec ce qui est « enregistré » mais interprété singulièrement dans un montage perceptif unique.

Lucien Castaing-Taylor dit « prendre au sérieux ce que l’art peut faire », mais en posant que la nature s’exprimerait quasiment elle-même, il rejoint un fantasme de naturalité, postulat d’un réel sans médiation, aporie qui nie la rencontre, l’art, l’insistance même de désirer s’engager dans un « cinéma somatique ». Comme si deux désirs, l’ethnographie et le cinéma, pourtant présentés dans une volonté de les unir, n’arrivaient pas à se conjoindre.

L’auto-présentation du réel, la religion et la philosophie connaissent bien, que « Dieu », « le réel », « l’absolu », parlent par la bouche même d’un humain, que « l’être pur » s’auto-présente déniant la qualification médiatrice de celui qui l’a nommé « pur », que « les lois » du monde soient énoncées comme définitivement connues, science conclusive.

Peut-être la répétition insistante par trois fois de « prendre au sérieux » trace « quelque chose » impulsant ce postulat d’immédiateté. Difficile toujours, universitairement, de s’aventurer aux frontières, de faire se rencontrer en funambule des domaines vécus par certains comme « territoires ». Problème en conséquence de continuer à être reconnu par des pairs ethnologues alors qu’on fait du cinéma. Peut-être aussi vouloir persister à se reconnaître soi-même comme « spécialiste », à être reconnu tel alors qu’on s’engage dans une forme naissante qui n’a pas encore de nom. Si « la nature parle elle-même », alors il s’agit bien du réel… et donc de l’ethnographie. Précaution ou croyance ? Mais, ce faisant, dans cette auto-présentation d’une nature, est chassé le sublime dans son deuxième sens, « faire partir ». Alors même que le film témoigne artistement de cette chasse du sublime qui chez Melville, dans son Moby Dick, les avait tant subjugués : « Le roman de Melville est important pour nous parce que lui-même fait exploser le genre, parce qu’il y a un engagement avec le sublime. »[9] Ce sentiment du sublime qui tente de présenter l’imprésentable, cet invisible dont parle l’écrivain dans son livre : « […] dans chaque événement, […] dans l’acte vivant […] derrière le fait incontestable, quelque chose d’inconnu […] »[10]. Halo de Pessoa, figure, frange d’infini dans le fini. Leur film a magnifiquement témoigné de ce rapport connu/inconnu, leur chasse du sublime arrivant à faire sentir l’incapturable, poétique de la baleine.

Mais en rebasculant dans le dit d’une nature qui s’auto-présenterait – serait-ce avec la précaution oratoire d’un « quasiment » –, ils tendent, dans leurs commentaires et non dans le film, à capturer paradoxalement « le » réel, le faisant servir une certaine idée de la science : transformer le film en « fait cinématographique brut qui n’a ni auteurs ni intentions », vieille histoire du « fait », dans ce qui serait une transparence, sans regard. Sursignification énoncée par eux au moment même où ils abandonnent à la nature sa capacité d’« expression ». C’est à cette nature qu’il revient d’être garant d’autorité d’une ethnographie véritable : le réel, rien que le réel. Tension d’oxymore dans l’idée même de « fait » cinématographique. Cette contrariété de deux désirs a pour conséquence leur position oscillante, leur flottement dans la notion d’auteur. D’un côté une nature s’exprimant elle-même, de l’autre l’affirmation de leur activité artistique, événement perçu et non « fait ». « Chez nous, il n’y a pas ce désir de faire disparaître mais plutôt de dissiper cette notion. » Dissipation reliée par eux au désir de faire « des films moins discursifs que figuraux, plus cinéma, qui reviennent à des racines pré-linguistiques ». L’idée de « figure » suggère-t-elle de « revenir à des racines pré-linguistiques » ? Ou plutôt n’inclinerait-elle pas vers l’idée de laisser passer au fil même du discours, au cœur d’une forme, ici le cinéma, ce que Valéry appelle « désordre » : « Les œuvres de l’esprit, poèmes ou autres, ne se rapportent qu’à ce qui fit naître ce qui les fait naître elles-mêmes […] »[11].

Reste que l’on comprend ce qu’ils désirent faire : non pas des documentaires classiques, voix off surajoutée qui plombe la figure, sa réserve de possibles, par un sens unique. Mais cette absence de commentaire est-elle pour « faire parler » la nature ou laisser passer un perçu dans un montage, faisant naître une poétique née de quelque chose qu’ils ne savent pas eux-mêmes, ne pourra jamais être « réponse » ?

Expérience d’une écriture filmique[12], riches peut-être des savoirs anciens, mais démunis toujours à l’égard de ce qui arrive, l’événement naissant jamais d’avance assignable. « Originel » en différence, non pas au commencement mais en commencement, passage, insaisissable. Plonge la baleine.

Joie sensible chez eux de répéter que ce film est à la fois la maîtrise et la perte de contrôle absolue. « À 80%, nous ne savions pas ce que nous filmions. On filmait avec nos corps, ou avec le corps des pêcheurs, des perches. » Ambiguïté de dire « Pour Léviathan, il y a une réalité qui excède les intentions des réalisateurs ». Quelle réalité ? La nature-auteur ? La « réalité » de l’expérience vécue, dépassant ce qui aurait pu être des intentions ? Est ajouté immédiatement : « beaucoup de gens ont eu l’impression que c’est la nature qui s’écrivait elle-même, alors que ce n’était pas une intention délibérée ». Retour au « fait brut ». La question vibre peut-être là : osciller malgré tout entre le désir de faire (de la) science et le désir artiste ; oscillation elle-même redoublée par celle d’une idée de la science, entre positive et non positive. En disant que « la nature s’exprime quasiment elle-même », « quasiment » porte le clair-obscur. Emporte « le désordre » d’où naît le poétique : « Dans la production de l’œuvre, l’action vient au contact de l’indéfinissable. »[13] Vie monstrueuse, désirs polyvoques. « La vie est opaque », dit Lucien Castaing-Taylor.

« […] on ne sait jamais très exactement ce qu’on a dans le cœur »[14], dit Melville à Nathaniel Hawthorne, voisin admiré à qui est dédié Moby Dick. Les réalisateurs ont lu le livre, les « Extraits », dedans la citation de Job. Qu’est-ce qui a impulsé le désir de faire le film ? Pourquoi cette citation-là, pas une autre, en est l’exergue ? L’oublié qui ne s’oublie pas passe dans l’écriture, question d’affects. Fantômes. L’indéterminé bouge dans la pénombre. Reste sa trace, Léviathan, un film intense, singulier. Quelque chose comme un sillage.

Elisabeth Gotfrid

 

 



[1]. Cf. dans les « Extraits » de Moby Dick, la citation de Job : « Léviathan passe et son sillage brille, Les eaux profondes en sont toutes blanchies », mise en exergue du film, traduite autrement. Herman Melville, Moby Dick, Paris, Gallimard, 2012, Folio, p. 24.

[2]. Robert Bresson, Notes sur le cinématographe, Paris, Gallimard, 2010, Folio, p. 41.

[3].  Où commence Moby Dick ? demande Philippe Jaworski dans Melville, le Désert et l’Empire. Dans l’« Étymologie » ? Dans les 90 fragments des « Extraits » évoquant la baleine, énumération inclôturable ? « De quelle manière entrer dans le Monstre ? Qu’est-ce que qu’entrer ? », question de l’écart entre « l’écrit qui commence avec le premier mot, et l’écriture qui ne commence véritablement jamais sans pourtant cesser de (se) poser la question de l’origine ». Tension interrogative posée dans le film à sa manière.

[4]. Conversation avec Cézanne, Paris, Macula, 1996, p. 112.

[5]. La police de caractère choisie pour la citation de Job en exergue du film n’est pas « pré-discursive ». Un gothique qui dénote une origine du passé, archaïsante, sens donné, surajouté à la citation, évoquant quelque chose comme un mythe venant du fond des âges.

[6]. Walter Benjamin, Origine du drame baroque allemand, Paris, Flammarion, 1928, p. 43-44. Cité par Georges Didi-Huberman dans Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, Paris, Minuit, 1992, p. 126.

[7]. Lui, a fait un film remarqué sur une transhumance de moutons dans le Montana (Sweetgrass) ; elle, sur une casse de voitures devenue lieu de vie.

[8]. Cf. Libération, Next, Marie Lechner, 28 août 2013.

[9]. Ibid.

[10]. Herman Melville, Moby Dick, op. cit., p. 236.

[11]. Paul Valéry, L’introduction  à la poétique, Paris, Galllimard, 1938, p. 42.

[12]. S’ils ont lu le livre cité de Philippe Jaworski – par ailleurs responsable pour l’édition de Melville dans La Pléiade  –, peut-être quelque chose a fait résonance, aurait pu : « Melville quitte les rivages du récit documentaire […] pour affronter l’infini d’une quête de fiction dans le langage, l’expérience du langage. Chercher, quête, question : Commence l’écriture. » (p. 15)

[13]. Paul Valéry, op.  cit., p. 57.

[14]. Herman Melville, op. cit., préface, p. 15.